c'est ça que je peux faire
J'ai conservé de mes années hyppie
un des livres les plus précieux de ma bibliothéque,
livre qui a héroiquement échappé à mes crises d'épuration: « HABITATS » aux éditions alternatives et parallèles.
Depuis longtemps épuisé en librairie, et jamais réedité,
ce livre, sorte de bible de base des auto-constructeurs,
je ne le préte que sous haute surveillance,
tant il est convoité par tous ceux qui n'ont pas eu l'occasion de l'acheter au bon moment.
Rares sont donc aujourd'hui les lecteurs avisés qui le possédent en Français.
Mon exemplaire est très abimé par de nombreuses consultations fievreuses, les pages se sont détachées, toutes jaunies, séchées, froissées,
mais il symbolise pour moi le placenta lyophilisé de mes propres constructions.
Rempli de dessins et de plans de tous les abris imaginables créés par l'ingéniosité humaine,
sans argent ou avec très peu,
en passant par les cabanes primitives pour aller jusqu'aux aux domes géodésiques les plus fous des années soixante dix,
étayé de photos noir et blanc de chantiers écologiques surgis bien avant la mode,
de créations spontanées pour tout refuge du vivant,
j'ai scruté les pages de ce livre si souvent que j'ai fini par les savoir presque par coeur.
Aussi, quand je fus prête à passer du rêve à la réalité,
avec, derrière moi, un passé d'artisanat en couture d'art,
je me suis replongée dans ce livre,
non plus pour m'aéerer la tête,
mais en cherchant très concrétement ce qui me semblerait le plus adapté à ma façon de vouloir vivre,
et surtout ce dont je me sentais capable.
Je stationnais des heures , à la page 28, sur les quelques images de yourtes mongoles, enrobées de tissus et de laines.
C'est là, sur cette page rugueuse,
que j'eus une illumination sous forme de certitude:
« Voilà, c'est ça,
voilà ce que je peux faire! »
Nous étions en 1995, et à ce moment-là,
personne ne savait ce qu'était une yourte,
à part un noyau très restreint de constructeurs marginaux.
En Mongolie, le régime communiste avait tenté de parker les nomades dans des blocs de béton dans la capitale, Oulan Bator,
décrétant la yourte patrimoine national,
ce qui eut l'avantage de repousser encore quelques temps les loups aux dents longues du libéralisme.
Les Mongols ne rejettèrent pas les HLM,
mais s'en servirent de cave ou de débarras,
et continuèrent à habiter leurs yourtes sur la prairie de la banlieue.
En France, quand je parlais de mon projet de yourte autour de moi, puis de mes premièrs chantiers,
les gens, invariablement,
me prenaient pour une fermière
un peu illuminée
colportant ses yaourts bio faits maison.!
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