outils basiques pour autarcie
Quand j'ai commencé ma première yourte,
je travaillais dehors en forêt, puisque je ne disposais pas encore d'atelier,
ou dans l’appartement HLM que je louais en bord de mon village.
J'habitais au quatrième étage sans ascenceur
et montais déjà chaque jour en hiver mon bois de chauffage.
J'ai demarré avec quelques outils à mains, une perceuse et une scie sauteuse bon marché, achetés parcimonieusement sur les maigres économies de mon revenu minimum.
Je déteste vivre à crédit, je n'ai donc jamais rien emprunté,
et surtout pas au système, qui m'aurait contrainte dés lors à rentrer dans ses créneaux,
exigeant des résultats marchands, ce qui aurait à coup sur paralysé ma créativité.
Mais j'avais une voiture, une fourgonette achetée aux enchères des domaines,
indispensable pour réunir les matières premières
et transporter mes récoltes et mon bois.
Plus tard, des copines artistes sont parties vivre dans un autre village
et m’ont cédé leur atelier, situé à trente mètres de mon appartement.
Là, j'ai vraiment réalisé mon vieux rêve,
interrompu par un divorce douloureux et autres déboires:
un lieu dévolu entièrement à ma création.
Maintenant, j'ai donc un atelier, mais plus de véhicule,
puique j'ai abandonné ma voiture en chemin.
Il serait plus juste d'avouer qu'on s'est mutuellement abandonné,
ce tas de tole et moi, je ne pouvais plus le supporter:
une tonne de ferraille et des litres de pollution assortis à un budget calamiteux,
m'ont, aprés mure refléxion, convaincus que le rapport entre les services rendus
et le stress généré par les pannes, l'aliénation à la pulsion de bouger,
une facture écologique et économique injustifiable,
avait depuis longtemps basculé, et qu'il était temps que je m'ajuste.
Je n'ai jamais regretté ce choix, trouvant toujours des solutions conviviales
à ce que d'autres considéreraient comme des obstacles innaceptables.
Aprés avoir taté du bois sauvage, je suis allée fouiner dans les scieries avoisinantes:
ce métier du bois m'a vite paru assez machiste, je n'y ai rencontré de femmes qu'au secrétariat.
Il a donc fallu que j'apprenne à me faire respecter,
mon porte monaie étant très persuasif sur cette question.
Au début, je me suis fait joliement arnaqué,
les types rigolaient quand je leur expliquais ce que je voulais,
essayant toujours de glaner quelques conseils utiles.
J'ai du négocier très serré et me facher quelques fois.
Un jour, je me suis même inscrite dans un stage d'initiation à la menuiserie,
en précisant bien mon projet, qui consistait à savoir faire un cadre de porte.
Bien que financée par l'insertion professionnelle,
ils ont voulu me couler dans un moule pour touriste, vue que j'étais la seule femme, en m'apprenant la première semaine à fabriquer une scie!
J'ai du menacé de partir pour obtenir, la deuxième semaine,
quelques rudiments sur les assemblages necessaires,
et m'initier à l'utilisation d'outils simples,
et non à une énorme bécane très dangereuse que je n'aurais jamais installé dans mon atelier,
malgré les prouesses que ces messieurs lui attribuait.
J'ai donc fabriqué mes yourtes avec du matériel de base simple:
scie, hachette, plane, couteau, rabot, ciseau à bois et maillet, mètre, marteau, tournevis, une petite raboteuse, un niveau, et bien entendu, machine à coudre avec aiguilles à jean et une bonne paire de ciseau...
J'ai finalement appris sur le tas qu'un bon outil se bichonne, se surveille, s'entretient, et qu'il vaut mieux ne pas le préter si on veut le garder longtemps.
Les gens me demandent souvent combien coute la fabrication d'une yourte.
Je ne peux pas leur répondre dans l'absolu,
car chaque yourte a correspondu à un désir et à des trouvailles différentes,
et je n'ai jamais compté mon temps.
Si j'avais compté mes heures,
par exemple cinq cents tasseaux de bois à raboter sur quatre faces à la main,
dans l'optique de les tarifier pour monter une entreprise,
ce qu'il fallait faire croire à ceux qui menacaient de me retirer mes subsides
si je ne voulais pas me soumettre à la dictature du marché,
le résultat final aurait été faramineux, et donc, hors de prix.
On ne compte pas ses heures quand on aime son travail,
que son travail dépend du sens et de la finalité qu'on lui donne,
et de la liberté et de l'enthousiasme avec lequel on l'exécute.
Voilà ce qui est le plus dangereux chez tous ceux qui veulent
remettre sous la menace les chomeurs au boulot,
pour leur faire produire des trucs ineptes et nocifs sur une planéte surchargée:
ils n'ont de cesse que de tuer l'avenir et tous ses possibles
en vous empéchant de l'inventer dans ces lieux délaissés qu'ils méprisent.
Alors il faut accepter de passer pour des féneants, des demeurés,
des parasites ou des inadaptés pour avoir une chance de continuer à oeuvrer
dans le secret de l'achimie qui mène à la réalisation de son humanité.
Accepter de passer pour des fous si on a l'audace de vouloir s'appartenir,
en vue de partager des richesses intérieures
et non ce qu'on a volé par l'exploitation de plus pauvre que soi.
Pour le bois, on peut faire soi-même ses perches en forêt,
ou acheter du bois brut au mètre en scierie, qu'on va chantourner, raboter et traiter soi-même ensuite.
Ou acheter du bois raboté, ou le faire raboter. Donc les prix varient.
Moins on paye cher, plus le travail personnel est important.
Pour le tissu, ma matière première étant en petits morceaux,
gros travail d'assemblage. Ma machine à coudre n'étant pas industrielle,
il a fallu aussi que je trouve des solutions
pour ne pas me retrouver avec des kilogs de toile à passer sous son ventre.
Ce qui m'a fait opter pour un assemblage de trapèzes pour le toit,
plutôt que des bandes cousues en carré dans lequel découper un cercle ouvert.
De toutes façons, mon pari de base était de pouvoir transporter
toutes les pieces de ma maison en haut d'une colline toute seule,
à dos de femme. Ce que j'ai fais.
La partie la plus lourde est la couronne, mais c'est la pièce maitresse de la yourte,
je n'ai donc point trop chipoté sur le poids.
Viser l'autarcie est la meilleure façon de stimuler l'imaginaire.