le voyage de Soael
Témoignage de Soael, yurtaoiste Ardéchoise.
Je ressemble à ma mère qui est une femme libre.
J'adore depuis toujours me balader sur les routes,
aller à la rencontre des gens, des cultures.
Je n'ai jamais voulu être propriétaire, parce que,
grace à mes voyages, la terre entière est ma maison.
J'ai cette vision de mon lit sous une moustiquaire en Afrique,
et là, devant, une petit carré de soleil dans la cour.
Intensement, je ressens que je suis vraiment chez moi,
dans ce petit carré de soleil.
Cette sensation, je la ressens partout ou mes pieds débarquent,
cette sensation que sur un petit bout de territoire ou je suis posée,
momentanement, je suis totalement là, totalement vivante.
J'ai donc logiquement quitté la ville à vingt ans pour aller vivre en Ardéche.
J'ai commencé de longs voyages en Inde en hiver,
et des boulots saisonniers les mois estivaux en France.
Mes compagnons travaillaient pour acheter une maison,
mais moi je n'en voulais pas, je n'en ai jamais voulu.
Puis, un jour, j'ai rencontré la yourte, grace à toi, mon amie.
J'ai de suite compris que mon attirance indéracinable
pour la vie nomade pouvait enfin se concrétiser.
J'ai accompli avec les années un long chemin initiatique,
de connaisssance de soi à travers différentes pratiques,
comme le Yoga, le Taichi, le Chikong, le chant, la danse, le théatre,
dans le rythme de vie ardéchois,
entre traveaux agricoles, marchés, services dans les restos.
Puis j'ai accepté le minimum vital
parce que je ne suis pas dans le profit,ni dans l'économie,
que c'est de plus en plus dur de trouver un boulot acceptable.
Ca me permet de repérer mes propres fonctionnements,
de respecter mes rythmes et ceux des saisons,
de me former dans des domaines qui m'interressent.
J'ai donc appris le massage ayurvédique,
une technique douce que je peux offrir partout ou je suis,
que je peux échanger contre d'autres pratiques.
Depuis que j'ai ma yourte, je peux y pratiquer mon art:
les femmes adorent cette ambiance douce et tonique en même temps,
sécurisante et revigorante, joyeuse tout en recentrant vers l'essentiel.
J'ai habité dans ma yourte tout cet hiver avec un compagnon
sur un terrain isolé entre deux hameaux.
On a remonté des murets en pierre,
disputant la pente aux passages de sangliers,
on a construit un petit terrassement, tout en matériaux naturels,
j'ai tracté pas mal de cailloux.
Le contact avec les pierres, la terre, le bois me fait du bien,
j'ai l'impression d'atterrir un peu,
de me solidifier,tout en restant très simple.
Nous avions un petit poéle à bois,
largement suffisant pour le volume habitable,
nous prenions nos douches dehors avec l'eau d'une petite source proche,
nos toilettes séches étaient dans la forêt.
Tous les jours par tous les temps, je me suis lavée dehors,
j'ai adoré ça, ça me filait une pêche terrible!
Nous utilisions un petit panneau solaire avec batteries
pour une lampe le soir, et un peu de musique.
Cette vie sauvage nous relie puissamment à la nature:
on peut s'extérioriser sans géner personne,
parfois j'allais crier tout mon saoul dans la forét,
c'est merveilleux comme ça décharge des tensions de la vie de couple!
Je pratique aussi l'art du tambour, ce son chamanique profond
qui fait ressortir nos tripes archaiques.
Il faut avoir entendu ce son dans la yourte,
qui agit comme une caisse de résonnance,
on est traversé de part en part, on devient soi même son,
on s'unifie à l'univers par cette reliance formidable du son.
Nous nous retrouvions en train de danser amoureusement
au milieu de la yourte, dans une communion d'esprit très émouvante.
La vie à deux dans la yourte touche assez vite ses limites
si on ne peut sauvegarder un peu d'intimité personnelle.
Ma yourte est petite, et bien que, par mes voyages,
je sois très habituée à la promiscuité, j'ai été confrontée
au manque de solitude et de ressourcement privé,
qui est l'apanage du retraitant sous yourte.
L'éceuil fusionnel du cercle est palpable dans un trop petit volume.
L'idéal serait de construire en plus une yourte en dur
pour avoir chacun son espace.Néanmoins, j'ai vécu cet hiver
comme un véritable voyage hors du monde connu,
car nous sommes restés longtemps sans sortir vers la civilisation,
en autarcie.
C'est un voyage sur place qui ne coute rien,
on peut aussi l'arréter quand on veut sans dommages:
la yourte se démonte en une journée,
cette rapidité continue à me faire évoluer dans la receptivité à l'inconnu.
Cette façon de faire et refaire son cocon, son nid,
c'est éclore et s'envoler à chaque saison!
Dés que je me trouve dans une yourte,
c'est l'esprit du voyage qui me saisit!
L'abscence de contrainte me ravit,
j'y trouve ma vraie respiration.
Sous la yourte, je chante spontanement
avec toute la gammme de mes émotions,
assise sur la terre-mère avec qui je rentre en communion.
J'adore aussi y dormir avec les copines:
avec le cercle de femmes, on remercie le vivant de la yourte,
le bonheur de reposer dans les bras de la vie!