Yourte et bois raméal fragmenté
Témoignage de Gabriel
J'ai vécu pendant presque trois ans en fourgon,
et j'ai fini par trouver l'espace un peu trop restreint.
Bivouaquant toujours sur des lieux publics,
je ne peux pas déballer toutes mes affaires.
Le camion, c'est le tout nomade, alors pour moi,
le choix de construire une yourte, c'est me sédentariser!
J'aurais ainsi une petite base,
par ailleurs prétée quand je serais en vadrouille,
mais au moins je pourrais déposer mon fond de barda.
Mon oncle va me préter un champ dans la plaine de Valence,
à moins que je squatte les terres de mon enfance,
qui appartenaient à mon grand-père paysan
et ont été rachetées par des riches
qui vivent en Amérique et n'y viennent jamais:
sur une petite partie non exploitable, je poserais ma yourte,
et sur le reste, je déposerais une couche de BRF:
Bois Raméal Fragmenté,
amalgame biologique de brisures de branches, biomasse végétale,
sur laquelle je sémerais à la volée toutes sortes de plantes médicinales,
et je reviendrais quelques années aprés récolter!
J'ai un bac agricole sur la culture des plantes,
spécialisé en culture de plantes aromatiques, médicinales et à parfums,
un brevet professionnel de responsable d'exploitation agricole.
J'ai appris la chimie des parfums et les préparations galéniques,
mais jusqu'à présent j'ai préféré les cueillettes sauvages
pour me familiariser petit à petit avec les plantes régionales,
je suis donc, en ce qui concerne l'identification des plantes,
tout à fait autodidacte.
Dans mon fourgon, j'ai en stock plus de 35 plantes,
récoltées l'année dernière, que je peux vendre sur les marchés.
C'est aussi pour ça que je veux faire ma yourte,
pour stocker mes sacs de plantes.
Mais je souligne que ce projet est non investi
dans le sens argent du système, c'est plus une expérimentation,
avec la curiosité de voir comment la nature
travaille avec ma lègereté:
si elle et moi collaborons sans lourdeurs et sans contraintes,
l'avenir se dessinera par déduction de la production.
Il faut savoir que le BRF mélangé au sol doit reposer,
mais que la fertilité qui en est issue
offre un rendement trente pour cent supérieur à toute autre technique!
Ce n'est donc pas pour moi un gagne pain
mais une démarche cohérente
entre mon mode de vie et la nature.
Je bivouaque sur des petits marchés avec mes plantes:
tant que je reste discret, je n'ai pas de soucis,
il ne faut pas mélanger les plantes,
ni les vanter pour leurs vertus médicinales,
sinon attention au contrôleur.
Je rappelle qu'il existe 35 plantes médicinales autorisées
et plus de 125 médicinales et condimentaires.
Donc, à part ça, je fais des petits boulots,
comme les vendanges pour gagner ma vie,
car jusqu'à présent je n'ai jamais été financièrement assisté.
Et bien sur, je me nourris de plantes sauvages!
Surtout en ce moment au printemps, ou elles abondent.
Ici, par exemple, ou on est assis, tu vois le chénopode,
la circe, les feuilles de ronce...
Pour moi, une soupe d'orties, c'est un vrai et succulent repas!
Je crois que ma démarche s'ancre dans mes anciennes mémoires,
empreintes de vies antérieures ou les plantes sauvages,
culinaires, médicinales n'avaient de secret
pour aucune communauté humaine!
Je viens de passer l'hiver en Espagne,
à la rencontre d'autres jeunes vivant tout en camion,
puis j'ai participé quelques jours à « La marche du vivant »
et à « La marche des possibles »,
deux marches qui se retrouvent à Paris,
pour s'exprimer sur les élections présidentielles.
L'une partie de Bugarash (Aude) en Février,
l'autre d'Aurillac un peu plus tard, ont traversé la méridienne verte.
Là, j'ai participé aux montages des zomes
et de la yourte qui hébergent les marcheurs le soir.
Les deux marches sont nécessaires et différentes,
au niveau des évolutions et des rapports internes entre les personnes,
l'une rassemble plus de jeunes
qui ne se sont pas encore trouvés eux-mêmes,
avec une dynamique un peu chaotique mais très riche,
qui a son charme juvénile,
et l'autre réunit plus de gens d'une certaine maturité
de choix et de conscience,
avec des anciens qui cadrent par leur sagesse naturelle,
qui canalisent les vibrations,
ce qui induit une marche plus douce, plus bienveillante.
Donc deux cheminements humains remarquables:
je dirais que ces marches sont complémentaires,
comme un père et une mère.
Pour ma part j'estime que je suis quelqu'un
qui a déjà sa direction de vie,
aussi quand dans les groupes ça commence à chauffer,
mon attitude est de laisser les gens
régler d'eux-mêmes leurs tensions,
pas besoin de s'opposer ni de faire obstacle,
ça se dénoue en marchant, au rythme des pas.
C'est un peu le genre d'ambiance des Rainbow
ou je me sens comme un poisson dans l'eau,
comme les journées de la paix en Juin,
bref toute cette mouvance non-violente
de gens qui vivent très simplement,
dans des campements,dans la nature,
qui expérimentent l'autonomie,
les ressources biocompatibles, etc...
J'ai rendu les clefs de mon dernier appartement il y a trois ans
et je t'assure qu'il est impossible que je retourne
m'enfermer dans ce genre d'habitat!
Le système n'est pas pour moi, ni le salariat,
ni pour mes frère et mes soeurs par conséquent.
Je veux encourager le monde
dans lequel je veux vivre,
pas celui dans lequel je ne veux pas vivre!
Je suis abonné au journal de la Décroissance,
et voici ce que ce mot veux dire pour moi:
il ne s'agit pas de revenir à l'âge de pierre ou à la chandelle,
comme le ricanent nos détracteurs,
il s'agit de savoir utiliser les outils à bon escient,
les outils d'aujourd'hui, pas ceux d'hier,
en harmonie avec notre planète.
J'estime que toute production doit être équilibrée
avec la nature et les valeurs humaines,
toute production doit d'abord être respectueuse.
Le pétrole n'est pas dangereux en lui-même,
c'est ce qu'on en fait qui est déraisonnable.
Une machine à laver par foyer c'est déraisonnable,
alors qu'une bonne machine costaud et réparable suffit
pour une communauté et induit des liens sociaux.
Il faut partager pour consommer moins, c'est évident!
La télé a perdu toute la liberté des radios libres,
l'ordinateur portable, ça simplifie la vie,
mais il faut les construire plus solides et moins cher
pour démocratiser les réseaux et l'accès à tous,
l'écran cathodique est un vrai progrés.
Pour construire ma yourte, je retrouve mon enfance bricoleuse,
je n'ai pas de problèmes techniques ni manuels, je me débrouille.
D'ici une dizaine de jours, j'aurais terminé ma yourte
et je pars m'installer.
Je la démonterais en hiver pour m'implanter
quelques temps dans le sud, Portugal, Espagne.
Cet été, j'ai très envie d'aller au Rainbow Européen en Bosnie,
mais avant Rendez-vous aux journées de la paix!
Avant de terminer, je voudrais quand même confirmer
qu'effectivement, de plus en plus de jeunes habitent en fourgon,
c'est une vraie culture qui se développe.
Je connais même un prof de sport qui a décidé
de lâcher son appart pour habiter sur ses lieux de pratique,
escalade, surf, rando, etc...!