prière d'éveil
Quand je me réveille au milieu des tourterelles,
quand un rayon de soleil traverse la yourte
par le petit carreau oriental, encadré des lys oranges,
qu'auprés de mon bol une limace a gagné
le marathon des escargots,
quand la journée commence dans un jardin sauvage,
un jardin sans lignes et sans carrés,
ou se tapissent d'humbles petites fleurs d'une délicieuse finesse,
un jardin poussé tout seul sur une terre fertile
qui ne demande aucune autre contrainte
que l'émerveillement et la coopération,
quand mes angoisses cycliques ont été maitrisées
par une respiration profonde et un sursaut de rage,
que la brise attire la lumière sur les drapeaux
suspendus entre les acacias,
que la couleur révéle par un joyeux contraste
la profondeur des chlorophylles,
que ma tête plonge dans l'eau rafraîchie par la nuit,
qu'en sortant soulager mes besoins naturels
je pénétre dans la salle de bal ou dansent papillons et insectes,
et qu'au passage je vise la touffe de chénopodes
qui remplira mon assiette,
la menthe qui infusera dans mon thé ,
et la pariétaire qui poivrera ma salade de pourpier,
que j'entends l'ultime répétition annuelle
des enfants de l'école du quartier,
et que le piano du maître qui les accompagne
résonne sur tous les balcons,
que le village apaisé des derniers flonflons de fête votive
commence à ronronner de ses petits travaux quotidiens,
quand la douceur de vivre dépasse le dépit des défaites de l'espoir,
quand mon petit lézard, fidéle à ma couronne,
me salue d'un petit tour de pattes,
et qu'un petit oiseau observe ma méditation à portée de bras,
alors je sais que la précarité est ma demeure,
et que la première chose à faire
est d'apprécier à foison ces fugacités familières,
alors je suis emplie de reconnaissance,
cette sorte de merci qui élargit le coeur et s' élève en prière,
une prière qui transforme le ciel rempli de mystères
en berceau du paradis,
ou m'attendent pacifiés
celles et ceux qui m'ont précédé dans l'inconnu.
« La gratitude conduit à l'amour.
Mais pas à l'amour-demande, l'amour du chasseur pour le gibier.
Ne confondez pas l'amour mendicité avec
l'amour plénitude qui vient de la reconnaissance. »
Arnaud Desjardins.