Déboulonnage touristique
Venir au pays des fortiches
La yourte est posée sur un terrain squatté inculte, un tas de gravats immonde instable,
situé au bord d'un village désertifié des Cevennes minières Orientales.
Le village est affreusement moche et misérable et totalement infréquentable.
Il est peuplé d'un tiers de Rmistes glandeurs et dangereux,
d'un tiers d'handicapés ou accidentés de la vie qui ne s'en remettront jamais,
d'un tiers de vieillards acariatres et d'un tiers de fashos,
adeptes de la solution finale pour les parasites sus mentionnés.
Le nombre ahurissant de déformés, déglingués,
consanguins loupés et estropiés qu'on y croise font pâlir les bas fonds de Calcutta.
Le train qui s'y traîne à quarante à l'heure en arrachant les arbres jamais élagués
peut s'arrêter en pleine voie à tout moment
et vous laisser en carafe pendant des lustres dans un wagon plombé sans oxygène.
En hiver, la verdure disparue découvre, le long de la voie ferrée non entretenue,
les décharges pourries, les villages en ruines, les champs recouverts de ronces,
et les bicoques hantées de pitoyables misanthropes.
L'autoroute ne viendra jamais jusqu'ici, promis juré.
Le camp de yourtes se trouve prés d'un transformateur électrique bruyant et mortel, d'un Marseillais raciste et bedonnant collectionneur d'armes à feu, d'une famille Bidochon hurlant, entre décibels furibards et effluves de friteuse, contre une tripotée de marmots obèses forcés aux viennoiseries, dégoulinants de sucre, et d'un sénateur qui déteste passiionnement, avueglement et fougueusement les adeptes des yourtes, et en a les moyens, par exemple il vous envoie une débroussailleuse grinçante le dimanche matin à sept heures devant la yourte pour se venger de votre simple existence, de chasseurs qui tirent sur tout ce qui bouge,
Très proches aussi, la meute de lyncheurs bigleux qui tirent sur tout ce qui bouge les jours sans école.
Les hystériques hypocondriaques très méchantes qui, pour se délester d'un excès de fluides, jettent sur les bagnoles à portée de balcon leur huile de friture bouillante.
Les adipeux très reproducteurs qui traumatisent d'insultes les mioches qu'un affreux karma a osé faire naître dans ce guêpier, et les joueurs de boules maladroits et impénitents qui visent systématiquement les mollets.
Le camp surplombe une vielle usine en loques qui servait à fabriquer des tubes d'acier, qui a obtenu le palmarès de la friche industrielle la plus polluée de la région. On peut y ensevelir incognito son pire ennemi dans un puits de mines désaffecté en train de s'écrouler, personne n'entendra rien.
Le chemin qui mène au camp est la promenade préférée des maîtres dégoûtants qui y font caguer leurs molosses, quand ils ne vous mordent pas. Il faut passer plusieurs gués très perfides
où veillent des racistes excités de tous bords qui transforment votre passage en chasse à l'homme.
Si, par hasard, mes visiteurs arrivent au camp sains et saufs, ils sont repérés, catalogués, suspectés. Dans leur dos sont fomentés tous les prétextes à délation qui feront débarquer les gendarmes à l'improviste, pour une perquisition surprise de leur barda.
Les rivières qui coulent ici sont les plus polluées du département, le captage, non conforme, d'eau potable, y puise directement,
et les entérocoques pullulent dans cet égout où seuls quelques campeurs abusés s'ébattent entre deux flaques nauséeuses.
Il y a des serpents partout, des blaireaux agressifs, une invasion incontrôlable de chenilles processionnaires, et plus de poissons ni de touristes.
La forêt derrière le camp a été dévastée par des coupes sauvages et des promotueurs immobiliers véreux qui érigent des bunkers affreux en dégommant tout autour, d'où s'éjectent des escadrons de jeunes motards sans pots d'échappement, ainsi que des quads écrabouilleurs qui ouvrent des ravins au milieu de nulle part, après eux, rien ne repousse. Ils se servent de la route qui encercle la yourte comme piste de dérapage et de dégazage, et commencent rarement leurs rallyes pétaradants avant 23 heures.
Mon village est surnommé par les moqueurs « la pute des Cévennes » parce que tout ce qui bouge lui passe dessus : outre les quads, les motos-cross, une meute de camions déglingués jamais aux normes, le défilé très klaxonneur des antiquités roulantes du siècle dernier et tous les rallyes dont aucune autre municipalité ne veut. Sans parler des ambulances et des tombereaux qui dépassent largement en nombre les cortèges de mariages.
Le centre ville n'existe pas, la ville est née au siècle dernier en étirant la distance entre deux hameaux cramés par les royalistes pour loger à l'arrache les mineurs, elle étire ses maisons sordides sur plusieurs centaines de mètres, inutile de souligner qu'elle n'a aucun cachet, aucun monument intéressant, à part peut-être l'église, qui doit être la seule du pays à arborer sur son fronton « Liberté Égalité Fraternité ». Derrière l'autel, une fresque délavée sur-dimensionnée, montre un soldat brandissant le fusil de la victoire, le pied sur l'ennemi moribond qu'il vient d'assassiner.
Pas question de visiter un tel ramassis de misère, si gris, si triste et morne à hurler, car si on demande sa direction à un passant, il vous plantera à coup sûr en débitant laconiquement la chronique des derniers meurtres locaux.
Les étals dégradés et les vitrines ringardes sont hors d'âge, une boutique sur deux est fermée, les autres en faillite, sauf la caisse d'épargne, toujours bondée par de pauvres hères pisseux venant tirer leurs maigres subsides par toutes petites tranches, stationnant debout car il n'y a ni chaises ni bancs, et les pompes funèbres.
Deux cinémas abandonnés s'écroulent à chaque bout de la rue au milieu de l'aphasie générale et des vociférations télévisuelles. Les restaurants sont au mieux minables, au pire infects, et dans les cafés, tout le monde est bourré.
Les ordinateurs de la bibliothèque, où la valeureuse hôtesse se bat héroïquement pour contrer une fermeture budgétaire, sont régulièrement saccagés ou volés, tandis que, en face, les pompiers prospèrent sur les feux programmés de pyromanes étouffés d'ennui.
Tous les matins aux aurores, ils essayent, en boucle, leurs sirènes, dont la stridence dépasse de loin noubas et batucadas du patelin, histoire de rappeler aux cerveaux embrumés combien de héros trépignent de nous sauver de la guerre perpétuelle. Tous les mercredis, c'est l'essai à la corne de brume, macabre gong géant qui fait trembler et gémir jusqu'aux dernières grenouilles envasées sous les ponts. Et tous les jours, à l'heure de la sieste et le soir au coucher, les supersoniques de la base aérienne de Nîmes viennent s'exercer aux records d'éclatement du mur du son dans notre ciel, qu'ils lardent de trainées blanches douteuses sans nous demander notre avis. Heureusement, mon canon d'orgonite, malheureusement impuissant contre le bruit, est censé neutraliser les mauvaises vibrations. Enfin, si j'en crois mon sorcier favori, mon maître karatéka devenu ferrailleur, et reconverti forgeron spécialisé contre les ondes délétères...
Le curé, ancien camionneur tardivement réveillé par une vocation de sonneur de glas, se pend à ses cloches toute la sainte journée, non seulement aux quarts d'heures, mais à toutes les pénitences catholiques et laïques imaginables. Comme beaucoup de gens meurent ici, ce glas obsédant est particulièrement angoissant. Je soupçonne ce berger de paroisse agonisante d'avoir engagé un match sonore de longue haleine contre la vie culturelle qui est ici est une vraie catastrophe.
Qui vire au cataclysme quand démarre la fête votive.
Quatre jours de débauche de bals rétros, de concours de chants et de karaokés, de défilés de chars hideux,
de spectacles de mauvais goût, de majorettes,
ex pompom girls et futures postulantes à la Starac, dégorgeantes de pacotilles, qui , à l'évidence,
cherchent à couvrir par la fureur des sonos et des fanfares le marasme galopant.
Et là, on ne peut louper, en tête de cortège, le seul maire de ce bled naufragé non encore embastillé pour détournement de biens publics, serrant de près l'arrière-train des danseuses de tête aux trois-quarts nues, et tendant une paluche très moite à ceux qu'il faut encore convaincre de fermer les yeux sur le loqueteux budget communal.
Quand ils sont tous empilés sous les tables, et qu'on pense enfin pouvoir se reposer, commence l'heure de gloire des anciens combattants qui, rituellement, tirent du canon au fond de la vallée, à huit heures pile du matin, une heure à peine après les derniers dégueulis des flonflons musette...
Quatre jours et quatre nuits, le jour de la rentrée scolaire,
où il est interdit de poser sa tête sur l'oreiller.
Alors, à part quelques exceptionnels étudiants passionnés
en ethnologie ou sociologie des profondeurs,
non subventionnés par l'Europe pour des recherches insolites dans des pays lointains, qui se seraient rabattus en désespoir de cause sur mon village, et, à part quelques aventuriers particulièrement téméraires et inconscients, les égarés qui viendront jusqu'ici devront le faire en catimini,
et ne le dire à strictement personne, sous peine de voir leur réputation détruite.
Ils seraient au mieux incompris, au pire relégués au banc de la société civile
et taxés de décroissants mystiques s'éclairant à la bougie, insulte suprème.
Alors si, en sortant des sentiers battus,
quelque barge inspiré bifurque en toute connaissance de cause vers ce pays perdu
où trois yourtes en patchwork surnagent à l'hypocondrie locale et au grand pogrom des paranos de souche,
qu'il ose fouler d'un pied vaillant ce canton que j'aime par dessus tous les autres,
c'est que, probablement, cet optimiste est de mèche avec ces grands maîtres de sagesse
qui avancent la plupart du temps masqués, mais sont capables de voir le beau partout,
le diamant dans le charbon, le Très Haut dans la France de très bas, et la révolution dans la marge.
PS: un merci chaleureux aux deux aventuriers excentriques qui ont franchi vaillament tous les obstacles en chantant et m'ont inspiré cet article outrancier, cathartique,qui voile grossièrement l'affection que je porte à mon village.