hermétisme en cevennes minières
La première nuit où j'ai dormi dans la yourte Shamatha,
voici ce que j'ai vu:
Un homme fort s'est retiré seul
dans une région inhospitalière.
C'est un artiste, le roi lui a confié la mission spéciale
d'extraire la quintessence d'une colline inculte
où personne ne veut aller.
Il est totalement autonome, car ce qu'il fait,
personne d'autre ne le veut, le roi le sait bien.
Mais le roi ne peut se passer de cet homme
qui lui apporte les bases indispensables
avec lesquelles il construit son royaume.
Son statut ressemble un peu à celui du forgeron,
qui est le maître du feu,
mais avec quelque chose en plus,
le spectaculaire en moins.
Cet homme ne manie pas le feu, il le récolte.
Car, quand l'homme creuse,
il trouve des pierres magnifiques dans la roche:
des pierres laiteuses d'une pureté inégalée.
Pas de l'or, aprés lequel tout le monde court avec avidité,
ce métal jaune qui a finit par étre corrompu
par la vénalité du monde, mais des pierres inaltérées,
indurées par des millénaires de profondeurs.
Leur texture est ferme comme le marbre,
leur tranchant comme le diamant,
leur beauté comme l'ibis rouge dans le soleil couchant.
L'homme fort sait que le feu du ciel s'est condensé là
dans cette terre sauvage,
qu'il s'est mélangé aux effluves souterraines
des fleuves de l'univers,
c'est pourquoi il découvre des pierrres
d'un bleu et d'un blanc si pur, si troublant.
Il succéde aux mineurs qui ont exhumé des tonnes
de charbon du fond des mines d'ici, au prix de leurs vies,
il sait que le sang des mineurs,
quelque part dans les arcanes des fonds,
a changé le charbon en trésor incorruptible.
Cet homme ne posséde que trés peu d'outils,
il les as hérité de cette génération de mineurs qui,
de coups de grisous en flots de sueurs noires,
à la manière sacrée des moines zen qui se transmettent
la filiation d'un maître en bénissant leur noir kesa,
lui ont légué l'ardeur et l'abnégation nécessaire
à l'accomplissement d'une tâche initiatique difficile.
Cet homme si fort ne tient sa force
que d'une coutume secréte, un rite alchimique,
qu'il pratique lors de ses labeurs quotidiens,
quand il est seul dans son labo à ciel ouvert,
seul à travailler son sol, seul entre le ciel et la terre,
à chercher dans les entrailles des gravats
le joyau ensemencé par la rencontre fondamentale
des éléments naturels.
Je le vois devant moi un peu plus loin, massif et occupé:
de temps en temps, il enlève sa tête.
Il ne reste que le corps, qui travaille seul.
Puis il reprend sa tête juste posée à ses pieds
et la remet sur son cou.
L'homme fort alterne ainsi ses heures de labeur
entre sa nature consciente et sa nature instinctive.
Il sait que son énergie puise aux sources
d'en haut et d'en bas
et que toutes tâches et décisions essentielles
naissent et s'accomplissent dans l'humilité intellectuelle.
Je le vois aujourd'hui, massif et imposant
au milieu d'un tas de vulgaires pierres sur un désert aride,
et je zomme sur ce qu'il vient de sortir:
une pierre ronde, de la taille d'un utérus fécondé,
absolument ronde, blanchâtre, d'un grain limpide,
d'une simplicité et d'une sobriété incroyable,
flottant en apesanteur dans une boule de verre.
Indescriptible.
Je sais, avec la conviction la plus sereine
et la plus impérieuse, que je contemple,
dans les mains de l'homme fort, la pierre philosophale.
Il en émane une lumière inconnue,
douce mais totalement pénétrante,
se propageant sur des ondes lentes et calmes,
une lumière qui n'éclaire pas dehors mais dedans,
une splendeur comme introjectée,
qui irradie dans le coeur humain:
la lumière intérieure.