de la maison bleue à la yourte
Témoignage de Jakin, en train de construire, avec sa femme, leur yourte.
« Itinéraire d’une vie, sur le chemin d’une yourte. »
Françoise et moi, nous sommes ce que nous pourrions appeler fièrement des « ex-soixantuitards » non pas échoués au ROTARY CLUB, mais …
On l’a échappé belle, il s’en était fallu de peu, car les « trente glorieuses » nous ont conduit dans les métiers de la pub, un peu par tromperie, à moins que ça ne soit par facilité.
Nous avions pourtant des ambitions artistiques d’ados. Nous avions fait une école d’art, c’est d’ailleurs là, sur les bancs d’un amphi de dessin, que nous nous sommes…plû.
Affinités nuptiales obligèrent, quelques mois plus tard.
On était artistes, la blouse tâchée, la clope au bec, on voulait peindre, sculpter, être libres, pas comme nos parents…et tout le bazar…le merdier en l’occurrence.
Et puis nous avons pris le circuit « pub ». L’ERREUR !
Séguéla, publicis, l’âge d’or de la conso. Moi j’ai trouvé une place dans une agence de pub comme graphiste, Françoise m’a rejoint. Les années ont passé, durant lesquelles j’étais devenu « fils de pub », je vendais avec mon crayon des couches-culottes, des saucissons, des syndicats, des ogives militaires, des logiciels, des centres de vacances, des crédits, des conneries en veux tu en voilà.
Françoise, finalement plus sage, peignait, enfin.
Du fric, j’en ai gagné, mais bien moins que cela rapportait à ceux qui me payaient pour imaginer comment, avec superbe si possible, et avec perversité surtout, je pouvais de mon crayon, séduire et traquer le consommateur potentiel.
Avant…avant c’était 68…68…68…Peace and love…
On a fait des enfants dans une atmosphère libertaire. Les copains venaient comme dans la chanson « la maison bleue adossée à la colline ». Un matelas passait par la fenêtre, et on se disait : « tiens…c’est François, ou c’est untel qui revient de voyage ! » On avait des chèvres, on cultivait un potager, on avait des poules, des lapins, une douche sous le superbe cerisier, et un voisin qui matait. Ou bien c’était mon jeune beau Frère qui débarquait d’un périple hasardeux, sac à dos, plus un sou en poche, affamé, après maintes expériences sexuelles ou hallucinogènes…
Il a fini, 30 ans plus tard, par diriger une boite de 700 salariés, cadre supérieur et carte bancaire de frais illimités…Ses cheveux ont raccourcis de 40 centimètres, il met de magnifiques cravates, manucure, soins du visage, déjeuners chez Bocuse…Oubliés les blockhaus, les flics qui te tabassent sur les plages la nuit. Tout ça est loin. Il a fini par voter Sarko. Les temps ont changés. Epoque Sarko…Si un jour on m’avait dit…
Mais aussi que je reviendrais à mes moutons…ou plutôt à mes chèvres avec l’énergie du désespoir….Que je reviendrai dans une yourte, le rond universel, l’unité, le « un », avec vue sur la voûte étoilée…La boucle est bouclée.
Parce la soixantaine approchant, un fils s’éloignant sans comprendre pourquoi, un enfant qui disparaît, une tendre compagne assez forte pour me supporter, assez semblable pour préférer le vrai au futile, assez combattante, assez idéaliste, utopiste pour nous construire plutôt que de nous détruire,parce que la soixantaine décroissante disais-je, nous avons décider de nous retirer. Doucement. Nous retirer dans le Cercle, avec un regard sur la vie, les gens, ce monde. Sans Croire mais Connaître.
C’est mon fils qui nous a réveillé. Ce qui est magnifique chez nos enfants, c’est qu’ils commencent par nous émerveiller de leur innocence, et qu’ils finissent souvent par nous éduquer.
Alors vient le temps de la yourte.
Passées les bourrasques, usés les artifices, rideau sur nos comédies, voile sur nos déceptions, la force nous fuit, la sagesse nous gagne…enfin. On s’arrête, on se pose pour ne plus voir que la nature. La beauté des gens. Des « belles personnes » comme dit Sylvie. Pour ne voir que la beauté du monde. Espérés forcenés nous serons.
Ne s’endormir qu’ensemble, une fois encore, et encore, sous nos étoiles du ciel d’été, le tonoo découvert, plein ciel !
Se réveiller au beau milieu de notre bois ensoleillé, engazouillé, engourdis mais silencieusement, secrètement heureux.
Espérer qu’un fils passe la porte, enfin, l’air de rien, m’invitant à la pêche.
Espérer que la journée qui s’annonce sera la plus belle, la plus aimante.
On sortira l’accordéon et la vielle, les gens seront beaux,
et la yourte encore plus ronde !
Jakin Kossar
(Note de l'auteur de ce texte: Mon récit, comme tous les récits, est le reflet d'une réalité... MA réalité. Les traits, les portraits sont parfois caricaturés, idéalisés ou même fantasmés.
"On ne voit bien qu'avec le coeur" St Exupéry)