Ame nomade
Un jour qu'on est chez soi, alors que tout est toujours là,
normal, tranquille, tel qu'on l'a laissé à la minute,
un instant on se retourne, et quand on revient,
que tout est toujours bien là, tout à coup,
on voudrait partir, tout laisser là en plan,
on sait que rien ne bougera,
objets même légers et souvenirs accrochés,
et d'un coup, on sait qu' on pourrait ne plus jamais revenir.
Pourtant on n'a nulle autre part où aller,
rien de particulièrement prévu, nul imprévu justement,
quelque chose qui renverserait tout sans rien casser,
et on sait bien que c'est partout pareil,
avec des maisons partout abritant les foyers humains,
on sait très bien qu'ailleurs
on risque de refaire comme avant,
avec seulement des formes un peu moins reconnaissables,
juste assez épaisses pour devoir s'appliquer
à les démêler dans un endroit sûr.
On le sait mais le vent souffle soudain dans sa tête
et déjà on entend claquer la voile du bateau
qu'on a pas encore construit.
Ce jour là, je suis chez moi,
avec ma yourte, mes fleurs, mes oiseaux et mon petit lézard,
une femme heureuse qui n'a plus rien à prouver,
et d'un coup, cette femme là qui a pris congé du désir,
elle se retourne sur la place de sa vie
en se demandant avec stupéfaction
comment font les gens qui habitent toujours au même endroit
à voir toujours le même paysage.
Un jour, oui, ça arrive, on est bien chez soi
et l'on pourrait se reposer, jouir du travail accompli,
on regarde ses chaussures de randonnée,
tannées maintenant comme des pantoufles,
et la vérité qui arrive, en même temps que la satisfaction,
c'est l'envie de décoller, de claquer les talons
et de monter à cru un cheval sauvage.
S'installer, non.
Ma faucille me démange, qui peine sur l'herbe haute,
et veut maintenant trancher mes piquets.
Voler combien de sans abris pour garer sa carcasse en sécurité?
Seulement chercher, là-haut sur la colline,
un endroit en friche à l'abri des regards,
perdu dans les fougères et les bruyères,
et recommencer à créer une bulle au milieu des bois
où loger un nouvel épisode de l'aventure intérieure.
Chaque fois qu'on monte, on s'allège,
chaque fois qu'on descend, où l'on jardine si bien,
on recommence à accumuler.
Ainsi je vais, traçant ma croix,
verticalement de la plage à la restanque,
de la falaise à la rivière,
et horizontalement de la rue au champ
et du bourg à la capitale.
Même si je sais que montagne et vallée
ne sont que le devant de la réalité.
Même si je sais que la yourte
n'est que le manteau de mon âme.
Même si je sais que l'ultime, le vrai du vrai,
ne se trouve qu'en restant immobile.