Proçès en expulsion
Comme d'habitude,
les oiseaux chantent comme des fous autour de la yourte.
C'est beau, envoûtant, lancinant, répétitif.
Je me lève de mon lieu de repos,
je vais leur apprendre quelque chose aux oiseaux.
Les scotcher dans leur stridence.
Je pose le CD sur la platine
et je pousse le volume sur 20 en appuyant sur Play.
Tenez vous bien les oiseaux.
Voici l'oeuvre sublime d'aux portes de la mort.
Je m'assois en face des baffles contre un treillis,
sur un coussin en patchwork,
et je laisse Mozart envahir la forêt.
Je n'entends plus les oiseaux,
ni le frelon qui loge au dessus de ma couche.
Mozart me pénètre,
je m'immerge dans le Requiem.
La yourte, soudain, explose,
comme un nuage atomique, vers le ciel.
Ma fille est morte un Lundi,
exactement le même jour et la même heure
que Mozart.
Mes lecteurs obsessionnels vont encore récriminer
que je suis « hors sujet ».
Ils voudraient ignorer que le sujet, c'est l'esprit,
et l'esprit souffle où il veut.
La vie n'est pas une baguette qu'on tranche en morceaux,
à ranger sous cellophane calibré.
Mais c'est vrai, cette sentence appartient à un autre blog
que j'ai tout le temps dans ma tête,
un blog uniquement à elle, ma fille,
qui raconterait enfin la tragédie
de la beauté, de la bonté, du vrai et du bien.
Un blog dont je n'ai pas encore accouché,
tellement voudraient que j'avorte.
Tout le monde l'admirait, ma fille,
même ses nettoyeurs, qui n'ont pas supporté
ce petit air de paradis au fond de ses yeux.
Tout le monde qui vient aux yourtes dit:
« Ici, c'est un petit paradis ».
Je sais ce qu'ils font chaque jour sur terre au paradis.
Je sais qu'ils guignent depuis longtemps
ces quelques ares d'herbe tendre
où j'ai posé de jolies yourtes,
petites mamelles hors champ de gloire,
pour allaiter les innocents qui croient encore à la paix.
Maintenant leur enfer est là, aux portes du camp.
Comme leur haine a expulsé ma fille de ce monde,
leur haine me traîne au tribunal avec mes yourtes,
le Vendredi 25 Juillet à 9 heures
au tribunal d'Alès
pour un proçés en expulsion.
Elle ne s'est pas défendue.
La fragilité, la sensibilité, ont fait d'elle une proie.
Alors moi, pourquoi moi, sa mère vivante,
avec cette indécence de lui survivre,
me défendrais-je?
Pour elle.
Pour tous les combats que je n'ai pas pu mener
avec elle,
tous les combats que je n'ai pas pu mener
pour elle,
tous les combats que j'ai perdu
et qui lui ont coûté la vie.
Pour que, tant qu'un souffle me reste,
les tueurs n'aient pas toujours raison.