Mise au point
Voilà tout juste dix huit mois,
en plein marasme d'un double deuil, j'ouvrais ce blog
comme on monte à bord d'un canot de survie.
Hier, ce blog a franchi la barre des 50 000 visiteurs;
j'ai découvert ainsi, grâce surtout à tous ceux
qui ont laissé des traces fraternelles de leur passage,
avec des mots parfois très touchants, que, sur l'immensité
où je risquais sans cesse de chavirer dans l'indifférence,
non seulement je ne suis plus seule,
mais surtout le monde s'est repeuplé.
Bien que le désir soit toujours en veille,
chaque message dont j'ai pu accouché
comme d'une bouteille à la mer, chaque rencontre offerte,
ont tissé le fil de ma reconstruction.
Comme je l'ai avoué dans un de ces messages,
c'est suite à d'autres épreuves familiales
et l'annonce d'un cancer que j'ai pris la décision
de vivre librement et définitivement sous les yourtes
que je construisais depuis plusieurs années.
Défiant ainsi le chantage permanent des oppresseurs
qui n'ont cessé de dénigrer et dénonçer
ma façon de vivre et mon style hors normes.
Je croyais pouvoir me reposer, aprés trop d'épreuves
désormais inscrites à jamais dans ma chair,
c'est d'ailleurs ce que les médecins m'ont recommandé
si je voulais sauver ma vie.
J'ai à peine eu le temps de prendre mes marques
que l'horreur est arrivée.
C'est dans ma yourte, sur le terrain de ma yourte,
que j'ai appris la mort de ma fille.
C'est dans ma yourte aussi que, cinq jours plus tard,
le lendemain de l'enterrement de ma fille,
que j'ai organisé et financé seule avec la vente d'une yourte,
qu'un ami a du affronter la pénible tâche
de m'annoncer la mort de mon père:
choqué et submergé de chagrin,
mon pauvre père a succombé à l'émotion
à peine rentré chez lui.
Je crois qu'il n'a pas voulu laisser sa petite fille
faire le grand voyage vers l'audelà toute seule.
Alors aujourd'hui,
attaquée par quelques prédatueurs aux dents acérées,
alors que je risque l'expulsion et la démolition brutale,
ainsi qu'une peine de prison et un endettement à vie,
pour avoir osé d'une poubelle faire un jardin,
de la laideur un havre de paix
et d'un rebut un lieu de convivialité,
qu'est ce qui est le plus important?
Certainement pas les morceaux de bois et de tissus
qui constituent la yourte,
et même pas la somme de travail incessant,
gratuit et sans espoir de retour,
qui a abouti à la viabilité de ce lieu.
Ce qui compte, ce qui est le plus douloureux,
c'est la menace de profanation de la mémoire de mes disparus,
et de faire éclater la fragile bulle où j'ai,
dans la patience et la solitude des jours,
tenté d'élaborer la perte la plus terrible
qu'il soit donné de vivre dans une vie humaine,
celle de son enfant.
Ce qui est certain, c'est qu'en démolissant
mon travail, mon foyer, les yourtes
où je respire le regain de la vie,
ces gens là tueraient une nouvelle fois
la belle jeune fille qui riait à la vie.
Hommes armés et arrogants,
capables de vendre leur âme pour un 4.4 de plus,
n'avez vous pas honte d'harceler une femme seule et pauvre
à qui on a déjà tout pris?
Entre eux et moi, il y a pire qu'un gouffre d'incompréhension.
Il y a, je le crains, un gouffre d'inhumanité.
Si je n'avais pas eu la chance d'être combative,
comment aurais je survécu aux épreuves de ma vie?
Survivre aux coups, à l'humiliation, aux procés en sorcellerie,
aux vols organisés, aux enlèvements d'enfants,
aux viols, à la maladie, aux meurtres....
Je ne serais plus là aujourd'hui pour porter,
à partir de mon expérience privée,
les combats de vie d'une femme sur la place publique,
pour en faire des luttes politiques collectives.
J'en connais trop qui ont coulé
pour la moitié de ce qui m'est arrivé.
Si j'ai survécu, il est de mon devoir le plus élémentaire
de lutter pour celles qui n'en ont pas la force.
Pour ma petite soeur, une femme magnifique
dont la gaieté et la bonté naturelle ont été englouties,
aprés trop de déceptions,
dans la psychose et la toxicomanie légale.
Puis pour toutes mes petites soeurs à travers le monde
qui n'ont pas ouvert de blog pour faire belle la vie
et qui se croient toutes seules et sans issue.
Alors s'il faut partir, j'ai le choix entre abandonner la partie
et vous laisser vous demerder avec toute cette saloperie.
Simplement parce qu'il n'y a plus de jeu dans les limites
de ce que je peux supporter.
OU aller un peu plus loin et recommencer.
Comme je l'ai déjà fait bien des fois,
défricher encore et encore des lieux abandonnés et morts
pour y féconder de la vie nouvelle.
En acceptant sans amertume cette réalité paradoxale
que plus je travaille et plus je m'appauvris....
Mais sans doute que si je n'avais passé
la majeure partie de ma vie
à défendre mes enfants et mon intégrité
contre l'adversité et l'injustice,
ce n'est pas un hameau de yourtes
qu'ils menaceraient d' attaquer au bull d'ozer aujourd'hui,
mais un village entier!
Je défricherais partout, surtout si l'endroit est moche et pollué.
De toutes façons c'est tout ce qu'ils nous laissent,
les racketteurs.
Je soignerais cet endroit moche et pollué,
de même que des femmes admirables,
dans des bidonvilles et des taudis puants,
ne choisissent pas les pauvres qu'elles aident,
des qui seraient moins sales,
moins malades et plus reconnaissants,
des femmes en tablier et tongs qui n'aident pas seulement
ceux qui risquent de guérir et de les remercier,
en rejetant ceux qui sont à l'agonie....
Ces femmes charitables pour qui l'amour n'est pas de profiter
de ce que les pauvres leur offre à foison alors qu'ils n'ont rien:
une bonne conscience sans ornières.
Si je m'occupe des pauvres arbres
plutôt que des pauvres hères,
ce n'est pas par manque de compassion.
C'est simplement que le plus proche s'étant,
durant mes années de formation au réel,
dévoilé mon pire ennemi, j'ai pris, par necessité vitale,
une distance respectable.
Ce qu'il font aux arbres chinois et russes
génétiquement modifiés qui composent la structure
des yourtes industrielles que vous achetez de Mongolie,
en croyant faire une bonne affaire
et vous engager dans une conduite écologique,
ce qu'ils font en massacrant la culture et la bio diversité,
n'en doutez pas,
ils le feront à vos enfants quand la planête sera à sac.