Réaliser ses rêves
Un jour, je me suis mariée, un jour j'ai divorcé.
Mais toujours j'ai eu des rêves.
Je me suis mariée avec un qui promettait d'en réaliser,
et finalement il a bien fallu faire avec les contingences.
Quand au bout de quelques rétrograduations d'utopie,
nous avons acquis un vieux mas cevenol,
j'ai vite su que ce que j'aimais dans cette maison à refaire,
c'était son jardin et sa forêt sauvages.
Mon mari s'est mis à déplaçer
des monceaux de shistes carrés et anguleux,
moi aussi, mais ce n'était pas du tout mon rêve.
Ce rêve qui me ferait perdre vergers et vérandas,
un rêve de rondeur sans arrêtes et sans poids,
qui m'a obligé à admettre
que quand on l'a dans les tripes,
quand il commence à remonter des abysses,
plus rien ne l'empêche de vous broyer l'âme,
et que ce rêve là, exigent, c'est pas celui du voisin,
même si on l'aime.
Alors un jour, au lieu de continuer à devenir triste,
j'ai dis à mon compagnon:
« Tu sais, mon rêve à moi,
c'est de fabriquer un tipi, la haut,
un peu plus loin sur la colline. »
Il n'a rien voulu savoir de ce rêve qui émergeait
comme un ovni au milieu de nos affaires de pierres,
rien voulu entendre de ce rêve qui m'a fait renoncer
à accompagner la défaite du sien.
Il a haussé les épaules, il s'est détourné,
et j'ai divorcé pour réaliser mon rêve.
Il ne m'a jamais pardonné, il me l'a fait payé cher,
mais je suis partie en lui laissant tout ce qu'il réclamait,
sauf la petite pierre précieuse de mon rêve
que j'avais trouvé dans le chantier de notre maison
et qui m'appelait à des travaux plus secrets.
Car quand on a un rêve en soi, c'est comme une vocation:
si on n'y va pas, on n'est plus qu'un fantôme.
On essaye de bien faire ce qu'on croit que les autres attendent
et on s'oublie tellement qu'on a plus de consistance.
Ce qui n'a rien à voir avec une reddition volontaire de l'Ego
devant ce qui le dépasse.
Le vide d'un rêve non réalisé, c'est comme un trou noir
qui avale et détruit sans rien laisser pour personne.
Un vide qui finit par gonfler, se boursoufler,
qui suinte et se fissure jusqu'à cracher
des laves de frustrations sur tout ce qui approche.
C'est parfois des générations.
J'ai mis du temps à réaliser mes rêves, beaucoup de temps,
parce que pour rester fidéle à sa vérité,
il faut sacrifier confort et sécurité,
et traverser des déserts sans boussole et sans eau.
Et dans ce temps là,
j'ai compris que poursuivre son rêve personnel,
pour moi la voie de la yourte,
c'est tisser la vraie texture de sa réalité,
une réalité personnelle qui transcende les nécessités.
Une réalité qui a sa propre logique,
avec des racines trés profondes,
pour chercher le plus prés possible du ciel
le bonheur d'exister par soi-même.
Il ne s'agit pas d'égoisme, mais d'accomplissement.
Il s'agit d'écouter ce que soi on entend,
la voix qui murmure dans l'écrin de son coeur,
La fonction du rêve n'est-elle pas de préparer
la réalité de demain?
Alors, même si, parce que je suis un peu en avance,
il faut que j'essuie les plâtres de ceux qui veulent m'arréter,
je sais que tous ceux
qui prennent leurs rêves intérieurs au sérieux,
qui se battent avec leurs propres noirceurs
au lieu de clouer au pilori
quelques boucs émissaires trop faciles,
ceux là sont les forgerons d'un monde
où la paix se construit avec la liberté de chacun.