Glamping: l'ennemi scandaleux du peuple des yourtes.
Si je fustige fermement les yourtes mongoles importées,
conseillant ardemment à mes lecteurs d'acheter leur yourte, s'ils ne peuvent la fabriquer eux-même, à un artisan français, il est clair que les nouveaux concepts marchands qui fleurissent désormais à foison dans l'offre touristique du camping planétaire récoltent ma plus franche hostilité. Pourquoi?
Il y a autant de différence entre une entreprise gérant un lieu d'hébergement touristique sous yourte et un lieu de vie occupé par un réfugié économique sous sa yourte auto-construite qu'il y en a entre une multinationale et un petit artisan, ou entre une industrie agro-alimentaire et une Amap.
L'une est un produit de luxe, l'autre le produit de la nécessité.
L'une est l'écume d'une vague qui va disparaître, l'autre un mouvement de fond.
L'une est une insulte, une gifle, à l'intelligence, l'autre, la lueur d'une étoile qui, en pleine nuit, éclaire la boussole du randonneur et lui indique la bonne direction.
Pourtant, à première vue, pour un œil non averti, une yourte est toujours une yourte. On ne peut guère y ajouter grand chose sous peine de la détruire.
De même qu'une tomate bien rouge achetée une fortune chez Fauchon en plein hiver ressemble à s'y méprendre à une tomate biologique cultivée sainement par un squatteur sur sa friche, une yourte importée de Mongolie à bas prix, installée deux mois estivaux dans une hostellerie de toile de luxe, entre piscine et vue sur la mer, n'est pas foncièrement différente, visuellement, de la yourte que s'est fabriquée dans un coin de cagibi un chômeur au bout du rouleau viré de son dernier appartement.
Entre une yourte auto-construite par une personne pauvre qui chemine les yeux grands ouverts dans un monde de brutes et ces yourtes à touristes qui viennent là pour mieux oublier tout ce qui ne va pas et continuer, ragaillardis, leur vie de consommateurs abrutis,
quelle est la différence principale?
Nul ne devrait ignorer désormais que les principaux prescripteurs d'expulsions musclées de cabanes et autres forfaitures architecturales sauvages sont justement les lobbyes des campings, terrains de loisirs, villages de toiles fastueux, prestataires touristiques de toutes catégories, les traditionnels et ceux surfant sur la vague écolo et crise, incitant la classe moyenne à rester dans ses frontières.
Le parcage vacancier, pendant du parcage en lotissement, ne saurait admettre que de petits rigolos parasitent, sans redevance béton, littoraux et arrière-pays idylliques, avec leurs barbecues sauvages et leurs pontons branlants d'où tendre la canne.
Les cabanoniers, quasi séculaires, qui pourraient prétendre à quelques médailles pour avoir valorisé, sans subventions, la diversité et la fraicheur de notre abreuvoir naturel, sont ainsi priés de démolir et déguerpir.
Mais, avant que ces malheureux soient complètement bousillés, avant qu'ils cèdent de gré ou de force la place aux cabanes manufacturées par milliers pour entreposer parasols et quads d'apparat, on leur pique les idées que la nécessite a fait germer de leur humble imagination, on marie un zeste de spleen suranné avec une arrogante modernité, et on recycle le tout dans la grande usine à nouveaux concepts marchands porteurs, d'où surgira la dernière mode, variation industrielle du modèle sentimental où projeter l'identification des masses.
Les plus beaux coins accaparés par le marché immobilier se monnayent à prix d'or pour l'extension des réserves à touristes.
Mais le haut
de gamme du tourisme, toujours en recherche d'originalité et de bons
plans pour écouler l'argent des riches, ne se contente plus de
transformer des plates-formes pétrolières,
des phares, des anciennes usines, des paquebots échoués, des anciens couvents et même des prison désaffectées (!!!) en hôtels de luxe, car, comme il est très facile d'attirer une souris dans une tapette avec un bout de gruyère, il est très branché aujourd'hui d'attirer les capitaux dans ce nouveau réseau à la mode intitulé
« glamping »: néologisme de glamour et camping.
Les touristes arrivent en jet privé dans de grands espaces protégés, s'installent dans des tentes hight-teck montées sur des planchers en bois exotiques rares, où s'étale un design zen-cossu, une brocante lustrée discrètement ethnique, une literie royale et des repas gastronomiques dans une orgie de chandelles sécurisées.
Le tout dans des lieux exceptionnels, les derniers lieux qui narguaient encore un peu le ravage capitaliste...
Leur objectif:
se déblingblingiser, en affichant leur exception, non plus par la sophistication ostentatoire, mais par la sobriété d'une noblesse de souche, qui n'affiche son bon goût que que par du lapidaire, de la plus haute gamme et de marque unique.
C'est le tailleur Chanel en Tanzanie, en expédition mobile dans la brousse.
Cliché néo-colonialiste?
Quand on sait qu'en Tanzanie justement, quatre vingt pour cent des gens consacrent soixante pour cent de leur budget à la nourriture, ce qui est un marqueur de grande pauvreté, contre vingt pour cent pour les ménages dits les plus en difficulté en France, je me demande pourquoi ils vont si loin s'immerger dédaigneusement, entre deux expéditions en éléphant, dans la population locale, alors que moi, avec mon budget tanzanien de quatre cent euros mensuels dont soixante pour cent alimentaires, je peux sans problèmes rameuter au camp de yourtes "cent pour cent artisanat et couleur locale indigène authentique",
toute une bande de gueux dans à peu prés la même situation.....
qui ne concurrenceront plus jamais les standards urbains.
Il suffirait qu'un riche cevenol gentleman farmer s'affilie à ce nouveau réseau d'élites et transforme sa vocation paysanne en prestataire touristique de luxe, et mes amis de la Tribu Arc-en-ciel ( Rainbow Family) qui campent gratuitement à moitié nus tout l'été dans les forêts sauvages n'auront plus qu'à aller se rhabiller.
Et de se déguiser pour, c'est Martin Hirsh qui va se frotter les
mains, se faire engager comme guides ou figurants dans le festival
des épouvantails visité nonchalamment par les « glampeurs ».descendus de leur chameau.
Ce concept d'hostellerie de plein air de luxe fait fureur aux États-Unis, où on peut s'offrir une location sous une tente pré-installée, au milieu d'une centaine d'autres réparties dans un grand parc bien gardé, à partir de la somme modique de cent dollars la nuit...
A quand la nuit à cent dollars pour bobos s'immergeant dans la peau d'un SDF, histoire de retrouver (juste pour une nuit) « l'essentiel et le minimalisme »....
Et si on hésite à s' offrir ce luxe, on peut se rabattre sur la file d'attente de la loterie New-Yorkaise qui délivre au hasard, comme à la roulette, une nuit sous tente sur la pelouse de Central Park, ou encore, à cinq minutes à pied de la gare centrale de Berlin, dans la cabane de l'ancien maitre nageur de la piscine municipale transformée en « Tentstation ».
Dans un article intitulé Let’s go glamping publié en juin dernier,
http://madame.lefigaro.fr/loisirs-et-voyages/enquetes/546
Madame Figaro décrypte le phénomène :
«Une philosophie minimaliste, discrète et respectueuse de l’environnement, à l’opposé des constructions pharaoniques de Macao, de Shanghai ou de Dubaï. Des décennies qu’on nous vendait du «retour aux sources», de «l’escapade de Robinson», tout en garantissant air conditionné, wi-fi jour et nuit et carte d’oreiller à dormir debout. Dans sa course à la modernité, l’homme en avait oublié l’essentiel : le goût de l’aventure et l’esprit de découverte que procurent une couche à la belle étoile campée sur un site 100 % nature»…
mais Madame Figaro, tout en dévoilant le dernier-né des rouages avaleurs de la récupération capitaliste, n'affiche pas les prix, qui feront bondir la plupart de mes visiteurs qui, à mille lieux d'imaginer tant de luxe effronté, cherchent une solution de survie.
Car en effet, derrière ce retour «minimaliste à l'essentiel»
ou « essentiellement minimal »,
on trouve des tentes somptueuses en plein désert africain, avec des esclaves au petit déjeuner trop contents de vous beurrer vos toasts, sur des terres confisquées aux paysans affamés qui ont été chassés vers les bidonvilles.
Sur ces terres volées, d’immenses pavillons de toile permettent aux voyageurs occidentaux de se reposer entre un safari, une séance de bronzette près de la piscine et un repas copieux sous la voix lactée.
A ce prix là, ceux qui bavent devant, pas étonnant qu'ils s'ajoutent à la meute qui approuve qu'on vire les tentes de ceux qui, chez nous, chichement, s'installent sans avoir cotisé à la maffia, dans des cabanes, des yourtes et des tipis, qu'ils ont en plus fabriqué eux-même avec du matos d'occasion dégoté en décharge.
Les petits malins de la croissance ont bien assimilé que, désormais, pour éviter que les consommateurs, qui ont accumulé tous les objets possibles, ne frisent l'indigestion, il faut qu'ils se reposent.
Donc on invente le capital sieste et le capital silence.
Il faut qu'ils rêvent, donc on invente le capital évasion.
Il faut qu'ils découvrent, alors on sort du chapeau le capital découverte.
Il faut qu'ils retrouvent l'essentiel,
alors on invente le capital nuit à
la belle étoile....
Suite crédible à la hutte à sudation innovée par les milieux Nouvel Age.
D'ailleurs, pas besoin d'aller bien loin pour constater l'écartèlement détestable entre le sort réservé aux riches et aux pauvres dans notre Sud, entre les lobbyes marchands et les efforts désespérés de particuliers acculés qui cherchent des solutions pour ne pas s'aliéner à vie dans des prêts immobiliers pourris...
A Barjac, prés de chez moi, bourgade devenue célèbre pour sa foire aux antiquités et le film « Nos enfants nous accuseront », qui décrit le choix par la municipalité d'achalander les cantines scolaires en aliments biologiques cultivés localement, le maire, communiste, avoue ne pas vouloir de yourtes chez lui.
Sous entendu, de yourtes sauvages
de gens qui oseraient refuser
une proposition d'HLM.
En même temps, on se gausse, à Barjac, de façon dithyrambique, sur l'originalité porteuse d'un couple, propriétaires d'un magnifique domaine, qui a rajouté six yourtes et deux cabanes perchées à ses gites.
On est donc en droit de se demander pourquoi ceux-ci ont obtenu un permis de construire pour des cabanes de vacances, alors qu'une famille qui demande l'eau sur son terrain depuis plusieurs mois, pour y vivre sous leurs yourtes, se voit refuser l'ouverture du robinet pourtant tout proche, sous prétexte que si on accorde aux uns, il faudra accorder aussi aux autres....
Et il semble que nos élus aient parfaitement repéré qu'une grosse vague de victimes des spéculateurs du logement puisse déferler bientôt en tsunami dans nos campagnes.
Or, il n'est pas question à Barjac, qui tient à son standing et à sa notoriété naissante, qu'une horde d'indésirables, perdants répétitifs du grand jeu immobilier, mettent en péril la confiance que des électeurs très aisés ont renouvelé dernièrement à leur maire.
Quand j'ai proposé à ce maire de s'allier à un projet novateur, portant une véritable réflexion sur les énergies renouvelables, l'autonomie, l'écologie appliquée, de prendre le risque héroïque de coopérer à notre réflexion sur un projet local d'installations réversibles légères, porté par une famille laborieuse et intelligente dont les deux parents parfaitement intégrés travaillent, celui-ci m'a répondu qu'un éventuel consentement des sa part s'apparenterait à un privilège (!!!), et que ce genre de projet risquait tout simplement de lui faire perdre ses électeurs!
Comme quoi, on peut se servir de son appartenance à un parti populaire pour faire tout le contraire de ce à quoi on aurait pu, naïvement, s'attendre.....
Si le pouvoir pervertit ainsi les meilleures intentions, le phénomène du glamour des tentes montre bien comment le capitalisme est capable de la traitrise la plus basse envers l'humanité, traquant le moindre bout de désert et les plus inaccessibles cimes pour tout écrabouiller à sa moulinette.
Cette stratégie de dinosaure aveuglé de puissance nous conduit droit à la guerre pour une bulle d'oxygène, une goutte d'eau, un brin d'herbe,
guerre contre le peuple des braves, le peuple des yourtes
et des enfants de demain,
système d'extermination de masse dont le glamping n'est que la base arrière planquée en Forêt noire.
Il existe quand même des élus qui, bien que leurs oreilles soient souvent parasitées par les récriminations réactionnaires de sordides bagarres de voisinage, ne font pas de la politique une situation d'arrivisme personnel et sont à l'écoute des mouvements sociaux et des colères légitimes.
Dans le meilleur des cas, faut bien rêver, où des communes seraient prêtes à mettre à disposition de ménages modestes des terrains pour des projets d'habitats sociaux, quand on connait les insupportables couts des viabilisations, on peut comprendre que nombre d'entre elles renâclent sérieusement.
Mais voilà, il existe d'autres façons d'habiter et de ne pas s'adductionner à l'absurdité générale, des voies qui n'impliquent pas systématiquement ce genre d'investissement qui frise l'inanité.
Car il s'agit bien pour beaucoup de gens d'un casse-tète angoissant que de trouver à se loger correctement, pendant que d'autres « glambadent » dans des campings de luxe, et donc, je le demande, pourquoi un maire communiste octroie toujours plus à ceux qui ont déjà, gite, entreprise, domaine, pendant que d'autres peinent et désespèrent?????
La logique de la réalité devrait faire ouvrir les écoutilles de ces élus, en particulier quand ils ont la chance d'avoir affaire à des ménages déjà engagés dans une prise de conscience écologique, prêts à réduire drastiquement leur besoins et leurs consommations énergétiques.
Il faut impérativement qu'ils enregistrent dans leurs dossiers, à la page d'ouverture, qu'aujourd'hui l'espèce humaine dévore, sans restitution, la moitié de la production biologique des éco-systèmes.
Et que, de tout ce vivant qui rentre dans l'habitat traditionnel, rien ne ressort que des boues inutilisables, entrainant un déséquilibre grave qui plonge vers la morbidité, une saturation de la capacité de régénération naturelle et une dévitalisation irrémédiable de nos ressources naturelles collectives.
Or, si on objecte qu'en choisissant des toilettes sèches, on rompt le cycle stupide et mortifère de l'épuration industrielle, que l'idéal serait que la municipalité investisse dans un broyeur et des récupérateurs d'ordures putrescibles pour les poster en bas des immeubles, qu'elle installe des aires de compostage faciles d'accès,
des élus de bonne foi répondent, avec une certaine duplicité, s'identifiant aux grandes firmes de retraitement des déchets, que c'est contre l'intérêt national puisque ça va supprimer des emplois!
Répondre que le prix de l'eau a augmenté deux fois plus vite que l'inflation et qu'à force, ce n'est plus soutenable pour la majorité des gens, les feront rétorquer que c'est normal, puisque les normes de microfiltration deviennent de plus en plus sophistiquées et donc de plus en plus onéreuses....
En justifiant abusivement que c'est le prix à payer pour une eau potable de plus en plus saine, sans mentionner que cette eau si pure et si chère sert aussi à laver les bagnoles et tirer la chasse.
De toutes façons, l'argument est faux, la vraie raison de l'augmentation du prix de l'eau étant due à l'explosion des pollutions aux pesticides, mais aussi à l'explosion des dividendes des actionnaires futés qui ont investi dans la spéculation sur le marché du traitement des déchets.
En général, à bout d'arguments bidons, on a droit alors à une réflexion ironique et méprisante vers ces pauvres peuples qui utilisent encore leurs merdes en fumier....
Il est bon quand même de rappeler que c'est le pauvre utilisateur qui casque, et plutôt trois fois qu'une:
une fois en payant des monceaux d'emballage et de marketing,
une autre fois en payant des incinérateurs et des usines de tris qui s'acharnent à prix d'or sur la séparation de l'organique et de l'ultime et,
une troisième fois, de leur santé, puisque ces pratiques n'ont pour résultat principal qu'une stérilisation effrayante de tout l'éco-système, propice à un effondrement immunitaire généralisé.
C'est pourquoi il ne faut pas renoncer, même si c'est parfois désespérant, à expliquer à nos élus que, quand on a la chance dans sa commune de recevoir sur son bureau des projets respectueux de l'environnement et de l'humain, porté par des familles sensibilisées,
il est d'utilité publique de les encourager,
non pas en accordant des «privilèges», mais en réfléchissant sur de nouvelles organisations foncières, de nouveaux modes d'habiter, en ayant le courage politique de défendre non seulement l'innovation,
mais surtout le respect de la vie,
en priorité absolue à toutes tactiques corporatistes, commerciales ou électorales.
De plus en plus de personnes dans nos communes sont capables et prêtes à porter des projets de vie sensés, qui ont besoin d'autres interlocuteurs que des banquiers peu recommandables et des élus vendus aux plus offrants.
La vraie démocratie consiste à leur accorder toute attention, car c'est le plus souvent de la base qu'en temps de crise viennent les solutions les plus évidentes, les plus salvatrices et les plus réalisables, dans la mesure où chacun met la main à la pâte, là où il est, avec considération et estime de son prochain.
Or le moment historique n'est plus à la distraction ostentatoire avec des séjours à thèmes dans des cabanes perchées qui rivalisent de séduction et de flatterie élitiste pour détourner l'attention,
renchérissant dans le déni de la crise structurelle grave qu'affronte l'humanité,
mais à la réflexion, suivie d'actions courageuses,
à la prise à bras le corps, sur les territoires,
avec les premiers concernés, les plus touchés,
des vrais enjeux sociaux et environnementaux.
PS: rencontre Rainbow en France du 24 Aout au 18 Septembre.