La lutte des habitants en yourte de Bussière-Boffy.
Résumé de la lutte pour les yourtes de Bussière-Boffy.
Une dizaine de familles solidaires, dont 25 enfants, habitants à Bussière-Boffy, village de 340 habitants en Haute-Vienne, pratique une vie saine dans le respect de l'environnement et le travail associé.
La commune bénéficie depuis bientôt 20 ans de l'apport démographique, économique et culturel de ces résidents, mais le Maire et la municipalité, élus en mars 2008, ne cessent de les marginaliser, en sabotant systématiquement toute insertion associative dans le village, toute démarche administrative, sous prétexte que les yourtes où ils habitent datent du Moyen age et n'ont rien à faire là au vingt-et-unième siècle.
Le maire de Bussière Boffy, ancien liquidateur du bassin minier de Saint Étienne, homme énergique et déterminé, a tout bonnement refusé l'inscription en maternelle des petits yourteurs, après avoir gagné la confiance d'une partie de ses administrés en leur promettant, aux dernières élections municipales, le nettoyage au karsher de tous les marginaux.
Ovationné, il a donc pu refuser l'inscription à l'école des enfants, ainsi que celle de leurs parents sur les listes électorales, fermer la cantine scolaire, puis envoyer un ultimatum aux familles « délinquantes » pour qu'elles dégagent.
Sous prétexte qu'elles n'auraient pas de permis de construire et parce qu'il n'est pas question de viabiliser ces terrains, soi-disant pour éviter le mitage et rentabiliser les réseaux.
Ce que n'ont pas forcement demandé les yourteurs qui ont installé des panneaux solaires et des bassins de phyto-épuration pour le lagunage.
Ils veulent juste qu'on les respecte sur leurs terrains dont ils sont dument propriétaires.
Des menaces de signalement aux services sociaux, pour cause d'insalubrité et précarité, sont même proférées.
L’ancien conseiller municipal devenu maire s’appuie sur la carte communale, établie en octobre 2007 à son initiative, pour justifier de l’impossibilité de reconnaître ces terrains agricoles comme habités:
« Ces personnes se sont installées là de leur plein gré. Ils disent être précaires et jouent là-dessus pour sensibiliser la population. Or au départ, c’est un choix de vie. Nous leur avons proposé des terrains constructibles sur la commune qu’ils ont refusés. »
Bien qu'un commissaire enquêteur se soit déclaré favorable à la régularisation de la situation des cinq familles en yourtes, le 9 Février 2009, un huissier leur apporte une injonction à démonter leurs habitations, pour non conformité à la carte communale.
Un comité de soutien se forme immédiatement, et de nombreuses personnes mises au courant de la situation, dans toute la France, écrivent au maire et au préfet, sur objectif du maintien des yourtes et révision de la carte communale.
Le 14 Mars 09, une marche de trois cent personnes va interpeller les élus à la mairie.
Le 19 mars, le maire se félicite sur FR3 Limousin de la fermeture de l'école du village votée à l'unanimité par le conseil municipal et entérinée par l'Inspection académique! Une victoire selon ce maire, qui a une bien curieuse idée de sa mission. Les parents d'élèves de l'école de Bussière Boffy, touts habitats confondus, décident de déposer un recours auprès de l'Inspection académique.
Le 14 avril, l'un des habitants des yourtes poursuivi par le Maire de Bussière-Boffy est relaxé.
L'avocate a démonté dans sa plaidoirie le fonctionnement du maire et fustigé « un maire qui agit comme s'il avait à faire à des sous-citoyens...Un maire qui, au quotidien, distille l'exclusion et le racisme, entretient la peur de l'autre, préfère fermer son école plutôt que d'y accueillir ceux qu'il traite de "manouches", en tenant des propos fascistes! ». Et de conclure: « Comment peut-on, quand on est maire d'une commune, mépriser à ce point ses citoyens ? ».
Le 17 Avril, une réunion informelle entre DDE, maire et sous-préfet laisse présager une issue positive au conflit.
Le 18 Avril, au milieu d'un pique-nique festif, une yourte est montée devant la préfecture de Limoges pour remettre une pétition de soutien de 2630 signatures.
La manifestation, favorablement suivie par les ministères de l’écologie, du travail et de l’économie, comprend une centaine d'élus locaux, nationaux et même de Belgique, tous membres du comité de soutien, ainsi que la ligue des droits de l'homme et la HALDE, organisme lutttnt contre les discriminations, tandis que les journalistes médiatisent l'histoire à la télévision et dans la presse.
Le 5 mai, les représentants des 5 familles concernées rencontrent le Sous-préfet de Haute-Vienne, le directeur de la DDE de Bellac, le Maire de Bussière-Boffy et une partie du conseil municipal.
Finalement, le Maire capitule en acceptant l'enregistrement des yourtes en tant qu’habitations sur le cadastre, redevables dés lors d'une taxe d’habitation qui garantirait aux habitants des yourtes la reconnaissance de leur domicile sur la commune. Il donne son accord pour le raccordement au réseau d’eau, obligatoire, d'après lui, pour cadastrer une habitation, à condition que les familles en assument les frais.
La médiation sous l'œil favorable du préfet permet donc de valider quatre des cinq yourtes, la dernière étant évincée sous prétexte d'être arrivée après l’élaboration de la carte communale.
La situation globale ne pouvait de toutes façons que s'infléchir positivement, car il ne s'agit guère ici de complaisance de la part des représentants de l'État, mais de prendre en compte le vide juridique autour des yourtes.
Ou bien les yourtes sont des tentes ne nécessitant pas de permis de construire, et ne tombent donc pas sous le coup du code de l'urbanisme, ou bien elles y sont soumises comme constructions, auquel cas, le délit est largement prescrit, la prescription en matière de délit étant de trois ans.
Ceci dit, la prescription pénale n'est pas une régularisation administrative, c'est pourquoi les accords n’étant que verbaux, les familles ne pourront se sentir sécurisées qu'avec des garanties dument actées.
Il reste le problème de la cinquième yourte, exclue du dispositif, où logent un couple et un enfant, les parents ayant exercé un recours contre la décision de refus d'inscription à l'école. Une autorisation temporaire ne peut leur suffire. Le 18 Juin, les gendarmes viennent constater chez cette famille l'infraction d'absence de permis de construire et l'assainissement soi-disant non conforme.
Le 20 juin, suite à aux accords principaux,
le maire réplique par une nouvelle mesure agressive
. Un arrêté municipal interdit le camping sur toute la commune, en dehors des terrains constructibles et des espaces municipaux destinés à cet usage.
Le collectif de soutien aux habitants des yourtes invite alors à un rassemblement populaire chez eux le dernier week-end de Juin 2009, en montant un tipi, une petite yourte et une charrette faisant office de scène ouverte,.pour maintenir la protestation contre la politique d’exclusion de la commune. Des banderoles et de nombreux panneaux détaillent les récents malentendus avec la municipalité.
Malgré la descente des
gendarmes envoyés par le maire déplorant l'absence de déclaration
préalable à ce meeting, un atelier cirque pour les enfants, un
atelier de maquillage et de coiffure, des chants et des discussions
animées autour d'un buffet de productions locales, ont permis à la
foule solidaire de se rencontrer de façon conviviale. Un spectacle
de clown, des impromptus musicaux et d’étonnantes improvisations
vocales, des créations inédites réalisées pour l’occasion par
des habitants de Bussière-Boffy, telles qu'un court métrage avec
texte et musique et des marionnettes à fil, sont largement
appréciées du public.
Le cœur du village, autour du monument
aux morts, est devenu un lieu de débats, avant que, au stade, des
négociations entre la mairie, des représentants du collectif et le
sous-préfet, aboutissent à l’obtention d’un délai nécessaire
aux travaux de relogement pour la famille habitant la cinquième
yourte..
Un débat de fond sur les questions d’exclusion au sens
large, des lectures de textes, des contes, ont permis de souligner le
caractère
emblématique et universel
de ce qui se joue entre les habitants de Bussière-Boffy.
Depuis, un groupe travaille sur les demandes de recours en suspension de l’arrêté municipal interdisant toute forme de campement sur la commune.
Il semble que les habitants des yourtes de Bussière-Boffy aient pesé au cours de leur lutte les pièges tendus: demander la constructibilité du terrain et l'obtenir pourrait s'avérer une solution pire que celle du flou actuel.
De toutes façons, les demandes de permis de régularisation au service instructeur de la DDE préposé à l'étude des dossiers seraient probablement refusés, car les membres du conseil municipal et une majorité de la population ne sont visiblement pas d'accord pour faire passer dans le budget de la commune les travaux des réseaux, obligatoires si les terrains deviennent constructibles.
Il faut
compter aussi sur l'inertie des services de l'État en matière
d'innovation, car ils ont pour rôle de faire appliquer la "Loi"
et se retranchent systématiquement dans ce qu'ils connaissent !
Phrase type d'un fonctionnaire de la DDE:
«Ce n'est pas nous qui faisons la loi que nous sommes chargés d'appliquer. Alors, si vous n'êtes pas content, dites à vos députés et sénateurs de changer la loi et nous appliquerons cette nouvelle loi avec la même rigueur que nous appliquons celle en vigueur!»
Donc, il faut inventer et réclamer l'adoption de nouvelles lois pour prendre en compte l'habitat sous yourtes, et il s'agit bien que ce changement soit impulsé par les usagers, soutenus par leurs élus, afin de soumettre leurs besoins propres.
Les acteurs les plus responsables pour construire un nouveau droit sont ceux qui en seront les premiers bénéficiaires.
Réflexion d'un adjoint à l'urbanisme:
« Je suis persuadé que la yourte est une des solutions d'un habitat écologique et économe. Mais son développement n'est pas possible dans le cadre des règles d'urbanisme actuelles. Cela nécessitera une vraie révolution dans la mentalité, très conservatrice, des députés, des sénateurs et des services de l'État !»
Il faut donc bien prendre conscience qu'un permis de construire ne réglera rien, et que la bataille ne doit pas se situer sur cet enjeu.
Car l'obtention du permis est immédiatement suivi de normes et de contraintes que la majeure partie du peuple des yourtes ne voudra ou ne pourra pas accepter.
Par exemple, en cas de branchement au réseau électrique, les normes délirantes soumises au contrôle de Consuel ne correspondent en rien aux alternatives énergétiques et écologiques que la yourte porte en elle.
EDF impose un sur-branchement selon un modèle hyper-consumériste issu des normes Afnor, telles que, un plafonnier, une prise téléphone et télévision dans chaque pièce. Si vous refusez, pas d'accès au réseau.
Les yourteurs qui n'ont pas la télé vont s'arracher les cheveux s'ils doivent payer des équipements qu'ils n'auront jamais!
Idem en matière de normes HQD, haute qualité environnementale, dont la certification très contraignante est édictée par les grands groupes industriels, et qui, en conséquence, reste un processus soumis aux lois du marché de la construction, rendant les prix d'accessibilité au bâtiment de plus en plus inatteignables pour un Français moyen.
Ces normes sont faites pour augmenter le profit via la production, certainement pas pour des performances écologiques, et encore moins pour le confort des utilisateurs.
Et je ne parle pas des assurances, qui déterminent le cadre bâti le plus conformiste.
Désespoir assuré pour nos yourteurs.
Dans ce sens, le Maire de Bussière-Boffy projette de créer un éco-village sur des terrains acquis récemment par la municipalité, au Petit Pic, juste en face du site actuel des yourtes. Pour ce projet immobilier et touristique, il semble prêt à réviser la carte communale dans les deux ou trois ans à venir.
Il appartient donc aux habitants des yourtes de faire valoir leurs droits de s'auto-déterminer,
sans devoir passer par la case pré-formatée du lotissement vert accaparé par les architectes, urbanistes et entreprises du bâtiment, même labellisés en « développement durable », et de l'ensemble des pourvoyeurs des réseaux classiques.
Ceci afin de définir un statut de leur mode de vie qui garantisse leur autonomie, leurs usages et leur légitimité, pour la légalisation d'un éco-hameau qui corresponde à leur réalité et leur choix.
Cette histoire montre la nécessité pour le peuple des yourtes de définir une stratégie commune de revendications pour obtenir un statut qui nous soit favorable.
C'est ce que nous allons essayer de débattre
à la rencontre nationale de yourteurs à la Frênaie.