Le blues de l'expulsée.
Bien sûr, nous ne sommes pas nombreux,
bien sûr, nous ne sommes pas importants,
bien sûr, nous sommes des incapables,
mais tous ensemble, même planqués,
bien sûr, nous sommes dangereux,
d'ailleurs, on ne sait pas combien nous sommes,
c'est inquiétant.....
Ils disent qu'on est des moins que rien,
pas comme les autres, les normaux,
qui vont au boulot, qui achètent, jettent et forget,
ils disent qu'on est des déséquilibrés
parce qu'en plein dans la fracture sociale,
on est à la bascule, à la marge, au bord du vide.
Bien sûr, nous sommes des nuls, des parasites, des va-nu-pieds,
des hippies, des malades mentaux, des profiteurs, des simulateurs.
Bien sûr, on dépareille, on fait honte, on fait tâche,
et bien sûr, on le fait exprès,
même qu'on est super organisés en bandes,
juste pour faire chier.
Évidement, nous n'avons pas de droits,
alors pas besoin de plaider, encore moins d'avocats.
Ils nous acculent, nous accusent, nous vident de chez nous,
et ils clament que c'est de notre faute,
qu'on a que ce qu'on mérite
que le destin, ça se forge à la force du poignet,
mais qu'avec le grave poil qu'on a dans la main,
faudrait nous la couper, la main,
ça nous empêchera de voler le pain du peuple
quand ils supprimeront, bientôt, notre revenu minimum.
Leur boulot à eux, leur expertise diplômée,
c'est de calculer sur leurs computeurs en enfilade
combien coutent les bouffées d'oxygène qu'on respire,
pour augmenter une dette qu'on pourra jamais payer.
Alors comme t'as pas les sous,
pour leurs banques, leurs piscines et leurs golfs,
ils te menacent, on va te virer,
t'as rien à faire ici, ni là d'ailleurs,
on va t'expulser, raser ta yourte de merde,
t'avais qu'à pas te mettre là,
d'ailleurs t'as qu'à plus être là du tout,
t'as pas compris que tu gènes?
T'as quarante huit heures pour dégager, point barre,
tu discutes pas, sinon on t'en mets une.
Et tu te mets pas plus loin ou j'envoie les chiens.
On voudrait crier mais ya déjà tellement de bruit.
On voudrait pleurer, mais ya bien pire que moi
et déjà un tel océan de larmes.
On voudrait s'allonger, plus bouger,
mais les parkings sont pleins et tous les porches pris,
où ils t'écrasent à coups de pieds en éventrant ton baluchon.
Même les cimetières sont payants, alors il reste la forêt,
mais voici les hélicos à caméras infra-rouges,
braqués sur le parapluie dégotté à l'arrache
qui est ta dernière extrémité,
et ils envoient les chasseurs.
Pour l'instant, je dors encore par terre
à coté de mon petit poêle éteint, j'ai froid, j'ai faim,
mais demain, avec 32 ter a de Loppsi 2,
ils peuvent débouler encore avec leurs matraques,
raser ma yourte au bulldozer.
Il ne me restera plus que cette immense
fatigue
d'une lutte sans fin
qui n'a donné aux révoltés comme moi
qu'un sursit dérisoire à l'extermination sociale.
Combien d'expulsions, de l'usine à la yourte,
pour mourir à soi-même, et renaitre,
de plus en plus infime, jusqu'à l'infini.
Car tout au fond de moi, quand même, je sais bien
que plus ils me poussent dans mes retranchements,
moins j'ai besoin d'arguments pour défendre
l'idole illusoire d'un moi voué au massacre,
je sens bien que plus mon âme se découvre,
plus je m'éloigne de cette terre
et trouve enfin la paix.