La prédation, c'est le viol.
« A qui appartiendra le futur ?
Aux femmes et aux enfants qui luttent pour la survie
et la sécurité de l'environnement ?
Ou à ceux qui traitent femmes, enfants et environnement
comme du jetable et du superflu ? »
Vandana Shiva et Maria Mies. « Ecoféminisme. »
On peut choisir d'être célibataire,
mais pas de refuser l'altérité des sexes.
Si les femmes et les hommes existent ensemble sur une trajectoire commune, ils sont pourtant intrinsèquement différents, quoiqu'en disent, sous prétexte de genre et de conditionnement, les colons capitalistes qui arasent les humains à un statut d'accumulateurs d'objets.
La femme dont les organes sont dedans se sent plus en résonance à l'intérieur qu'un homme, dont l'organe reproducteur est à l'extérieur.
Le féminisme universaliste occidental a jusqu'à présent répondu au mépris de l'homme pour les valeurs intérieures des femmes par une tentative pathétique d'intégrer ses modèles, de s'aligner sur ses paradigmes, en démontrant, jusqu'à l'épuisement, l'équivalence des capacités et des talents.
Il a fallu exacerber nos aptitudes en signant allégeance aux codages masculins pour obtenir subsistance et gratification, comme si les filles prétendaient pisser aussi loin que les garçons.
Cette dévotion pour l'hypertrophie des valeurs viriles de conquête et d'assujettissement entraîne le renoncement à la préoccupation gratuite du soin d'autrui, et donc de toute forme d'auto-gestion.
Intégré dans la rivalité virile établissant une hiérarchie fondée sur l'exhibition du plus d'attributs visibles possibles, ce féminisme d'allégeance à la course aux champions, en revendiquant aux instances misogynes les mêmes dossards, les mêmes équipements et les mêmes critères de dépassement de soi,
soumi aux phallocraties des sponsors, jurys
et autres distributeurs de couronnes et médailles,
n'est plus qu'un triste renchérissement de la compétitivité,
un sombre pastiche de l'idéologie patriarcale de la loi de la jungle.
Depuis la conquête d'Uruk qui inaugure, à l'Âge de Bronze, la fondation du patriarcat, les violents s'ingénient à transformer en héros d'épaisses brutes cruelles, à commencer par ce « soudard de Gilgamesh, qui esclavagise le peuple de Sumer en violant toutes les filles, enlève les fils à leur mère et épuise les hommes en travaux exténuants » (version Sumérienne, citée par Françoise Gange).
A partir de l'extermination de la Vénus paléolithique
et de la culture des peuples de la Déesse Mère,
les vagues successives d'interprètes masculins ont effacé le souvenir d'un monde stable basé sur la gestion bienveillante des ressources naturelles, où le nomadisme répondait au besoin d'épargne et à la gestion réfléchie des ressources, au profit de mythes épiques qui glorifient le pillage, travestissent les guerres de colonisation en croisades civilisatrices, en expropriant les peuples de leur bases d'auto-suffisance.
L'ensevelissement à Sumer du matriarcat et de son organisation fondée sur la coopération, le partage et le respect de la terre, a rejeté le féminin dans le continent noir de l'inconscient et a ouvert la voie à la diabolisation des femmes.
Car oui, les femmes sont objectivement rebelles à la généralisation de la violence, et profondément indociles à l'instauration de l'insensibilité comme critère moral.
Le « fils de la mère » honorant, par symbioses et connexions, les forces de la nature, l'art et l'amour libre, est devenu le « fils du père », assassin de son propre frère, exténuant ses esclaves en productions titanesques, et légalisant par le mariage l'appropriation des personnes.
En introduisant la religion du Dieu unique et la dichotomie entre élus et mécréants, en extrayant la femme de sa côte, c'est-à-dire de sa propre structure, l'homme nie toute altérité, toute existence propre à l'autre sexe, mais aussi à la pluralité des cultures et des croyances.
Depuis qu'ils ont compris le lien entre semence et bébés, et érigé la loi, laïque ou religieuse, du seul grand phallus sous qui tout doit plier, depuis qu'ils se sont appropriés la fertilité de la terre et la fécondité des femmes, tout périclite.
Ils foncent comme des rhinocéros furieux et, quand ils ne nous enrôlent pas dans leurs brigades de mort, ils font semblant de demander notre accord, juste pour acheter notre silence et notre soumission.
Qu'avons-nous à faire de leurs fusées
quand nous ne pouvons plus nourrir nos enfants ?
Ce qu'ils font à la terre, ils le font aux femmes.
Ce qu'ils font aux aborigènes, aux plantes, aux arbres, aux forêts, aux animaux, ils le font aux femmes.
Ce qu'ils font à l'eau, à l'air, aux rivières, aux rivages, aux oiseaux, aux abeilles, aux ours, aux baleines, ce qu'ils font aux animaux d'élevages et à tant de variétés animales et végétales expropriées du bien commun par les multinationales, ils le font aux femmes.
Ce qu'ils ont fait aux Indiens, aux sorcières torturées et brûlées par millions, descendants de nos ancêtres qui ont préservé l'harmonie pendant des centaines de milliers d'années, cette haine et ce bannissement systématique, au nom de leur progrès, de leurs techno-sciences de pointe, leur pétro-chimie d'holocauste, avec leurs chalumeaux, leurs microscopes, leurs sous-marins, leurs claviers et leurs chloroformes, avec leurs circuits intégrés miniaturisés ultra performants pour un désordre global, ce qu'ils font aux peuples autochtones autarciques et aux herboristes héritiers d'un incommensurable savoir botanique, c'est ce qu'ils font aux femmes, partout, sur toute la surface de la terre.
Et ils s'étonnent des invasions d'amarantes dans les champs de maïs mexicains, de l'ambroisie en Languedoc, de l'impatience de l'Himalaya sur nos berges, des entérocoques intraitables, des bactéries résistantes aux antibiotiques, des allergies galopantes, de la vache folle, des cancers en masse, des tornades, tremblements de terre, sécheresse, inondations, déserts, fonte des pôles et des glaciers, submersions insulaires...
La prédation, c'est prendre sans permission, sans demander si l'autre est d'accord, s'il est prêt.
Sans reconnaître que tout Vivant possède une connaissance de son état et de ses besoins, préalable à tout don de soi.
La prédation, c'est chosifier, dépersonnaliser, déshumaniser.
C'est nier le désir, l'existence sensitive, consciente et signifiante de l'autre, son être unique et remarquable, générateur de relation et du processus d'évolution collective.
La prédation, c'est le viol.
Les femmes et la nature
sont le lieu des humains
où est commis l'incommensurable crime de viol
qui nous mène si près de l'abime de notre propre extinction.
« Il y a un autre monde, mais il se trouve dans celui-ci »
Paul Eluard