Sur une plage déserte, notre machin.
Au début ce n'est rien qu'un truc pour accrocher,
un porte-truc éphémère mais utile, qu'on met n'importe où.
On ne cherche pas à faire de l'effet, on regarde seulement autour de soi,
la rivière, la plage, les galets, les vagues de bois épars coincés entre les arbres.
Jusqu'à ce qu'on récupère les drapeaux du radeau éparpillé qu'on a fait flotté la veille,
et qu'on ramasse des galets et des bouts de bois flottés particulièrement jolis,
il s'agit juste de faire sécher les shorts trempés,
parce qu'on est tombés en traversant la rivière à gué, à cause du courant.
C'est ici un petit coin de paradis mais il faut marcher et gagner l'autre coté des flots, c'est parfois périlleux.
Le lissé, les arrondis, les décrochements des morceaux de bois, trop beaux, ça nous inspire !
On dispose les branches les unes dans les autres sur le trépied, on les imbrique, les enchevêtre en équilibre,
ça nous plait.
On cherche toujours pas d'effet, mais l'assemblage hétéroclite commence à nous parler, il suffit d'écouter.
On trouve ça rigolo, plus de cris, comme dans l'eau.
C'est encore plus joli à la fin quand on suspend les maillots des filles, à cause des volants.
Le soir, on se rhabille en dépouillant notre totem et on repart à la yourte, en laissant les drapeaux.
Peut-être que demain nul idiot n'aura vandalisé !
Le lendemain, on revient avec trois pelotes, une par enfant, sans savoir ce qu'on va en faire.
Moi un peu, je me suis prise au jeu. Personne n'a touché notre bazar.
Après la baignade, sans rien dire, j'attache la première laine au bois et me transforme lentement en maman araignée.
Alors les enfants accourrent !
Pas besoin d'explications, encore moins de directives, les petites araignées s'activent
joyeusement jusqu'au gouter!
On a trouvé une drôle de boule végétale pour le sommet
et on a rajouté quelques bambous
avant de retourner se baigner.
On revient mouillés, on tourne autour de notre bonhomme caduc bien bizarre,
on dévide les pelotes, on s'enhardit en larges brassées, on découvre le tissage fou, l'arachnéage géant.
Les enfants ne demandent pas: C'est quoi?
Ils ne savent pas ce qu'ils font, ni moi.
On est en même temps concentrés et détendus, exités et rêveurs,
exercant cette façon d'oeuvrer sans but qui est le nerf de l'âme.
Alertes, vifs et enthousiastes.
On regarde notre machin et on voit qu'il est quelqu'un, surtout quand on l'habille.
C'est fou comme on s'amuse, avec rien, avec trois brins,
comme on est content d'avoir créé du vibrant avec du bois mort,
un machin qui ne ressemble à rien,
un engin plein de vent qui n'appartient à personne
et qui disparaitra à la première pluie,
un épouvantail qu'on offre à la plage pour que les poissons soient bien surveillés.
Alors, toi qui cherche une plage déserte au milieu de la foule charriant transistors, sodas et raquettes,
si tu vois un bidule plein de vent gonflant mon maillot suspendu entre trois petits drapeaux,
ne décoche pas un croche-pied en passant,
mais suspend ta serviette, ton short, ton peignoir et ta casquette,
tu verras comme l'eau est bonne et les poissons super Zen sous l'oeil de notre zinzin,
et peut-être tu continueras ce qu'on a commencé, un jour de vacances à la plage,
un machin inutile et fugace totalement pacifique et périssable,
qui te rendra heureux, comme il nous a rempli de joie pour pas un rond...!
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