Mutation pour les amis de Yurtao
Yurtao évolue au fil des années, à mesure que la vie en yourte se démocratise, à mesure que le pouvoir nous poursuit de sa répression, à mesure de labeur, méditations et bonheurs installés sous les tentes, mais aussi de sombres présages planant sur notre avenir terrestre.
Yurtao a crée Cheyen, et Cheyen devient, par putsch dictatorial autocratique hyper-autoritaire anti-démocratique totalitaire tyrannique et despotique : « Les amis de Yurtao ».
Une nouvelle étape, un tournant se prend, au moment où dans les forteresses cliquettent les mitraillettes dirigées contre le petit peuple des yourtes. Ce tournant est le résultat d'une maturation et d'une diversification des stratégies de défense des yourteurs.
Le temps des précurseurs est terminé. La yourte en occident est désormais bien récupérée par le système capitaliste, par ses maquereaux stipendiés par les requins de l'immobilier, du bâtiment et de l'urbanisme, qui l'ont perverti en un objet marchand insipide et déculturé. La valeureuse tente séculaire investie par quelques jardiniers au cœur tendre se transforme irrémédiablement en une nouvelle poule aux œufs d'or spéculative, un avatar de cette vénalité puante régnant en putain sacrée sur le culte idolâtre de la religion économique.
Cet habitat de liberté, émergé sur un brin d'herbe échappé aux rouages écrabouilleurs de la normalisation globalitaire, déjà prostitué juteusement dans les réserves à touristes aseptisées, va maintenant être minutieusement délabré et cloué au pilori par le viol systématique de nos vies privées, de nos intimités. Et la clique des vampires qui se sucrent sur le marché du logement, de la pauvreté et de la croissance verte étoufferont, par de fallacieuses justifications démagogiques d'égalité sociale, le dernier cri de résistance d'une faction acculée de gardiens de la terre. Et les échappés qui continueront à jeter leur confort aux orties pour privilégier leur liberté de conscience en habitant dans des yourtes, aux confins des cambrousses desertiques, devront faire face aux juges et aux bulldozers après avoir été dénoncés par des zélés de la République hurlant à la salubrité publique.
En voie de se faire réprimer par la loi, l'habitat en yourte modeste se doit maintenant de démontrer qu'il n'est pas seulement adoption d'une tente miraculeuse capable d'offrir un havre de résurrection aux familles alternatives, mais une Voie spirituelle et politique que rien ne pourra démolir. Car la Voie de la Yourte, ce n'est pas seulement habiter dans une tente ronde auto-construite qu'on dépose avec circonspection sur une friche à anthropiser, c'est surtout cultiver son mandala intérieur, un espace radiant et radieux dans le nid du cœur dont la yourte est l'incarnation symbolique.
C'est aussi un vrai projet politique, celui de la décroissance,
en rupture avec la politique d'accompagnement du capitalisme vert
et le mensonge éhonté du Developpement Durable.
Après avoir rassemblé et formé pendant ces trois dernières années un collectif de yourteurs pour faire cause commune, je reviens donc, en ces temps d'acharnement répressif, à l'approfondissement et au recentrage de la Voie de la Yourte.
Un Chemin initiatique.
Parralélement, un collectif anonyme issu de Yurtao,
capable désormais de déployer ses ailes dans le vaste monde et de mener la lutte temporelle selon sa propre stratégie, se constitue en brigade masquée.
Vive le collectif collégial coopératif convivial et consensuel, la convergence confédérale, collaborative, co-participante et concertée qui, incognito, sans controverses et sans concessions, a catapulté Cheyen aux catacombes !
A l'inverse de ce stimulant commando cosmopolite qui a cuit Cheyen au court-bouillon avant de la cramer au crématoire, résistant à ce déploiement un chouilla cathartique, s'affirme la nécessité, par putch dictatorial anti-démocratique hyper-autoritaire et très despotique, de recentrage sous la couronne de la yourte, à respirer calmement sur son coussin de méditation, à diluer le monde tracassier et infernal de la multitude des formes dans le grand vide souverain.
Dans le chaudron de l'athanor des mutations se redéfinissent alors quelques principes non négociables de la Voie de la Yourte. Principes qui ont fondé l'altérité et l'identité de Cheyen et avaient déjà été appliqués lors de l'alerte de 32terA de Loppsi 2.
Deux sortes de stratégies perdurent chez les Indiens confrontés au massacre de leur peuple par les envahisseurs : ceux qui négocient leur parcage ou leur reniement contre un fusil et un tonneau de whisky, et ceux qui savent que toutes les promesses seront trahies et resteront fidèles à leurs valeurs. La différence, c'est que les uns dureront peut-être plus longtemps, au prix de leur identité ravagée, et que les autres mourront entiers au combat, dans la forêt, devant leurs tipis. Le résultat sera le même, à quelques semaines prés : l'éradication du peuple des yourtes.
Une alternative pour un but implacable. C'est un choix et il est majeur.
Il ne s'agit pas de tout faire pour obtenir une trêve ou un moratoire ou de ne rien faire du tout, mais de continuer à faire ce qui a du sens pour nous sans marchander un pied de liberté, ou retourner au bagne tourner en rond sous les fenêtres des matons pour négocier sa permission sous bracelet électronique.
Je convie donc les afficionados du recours aux coteries politiciennes, les partisans de l'activisme frénétique collégial consensuel hyper démocratique, convivial et coopératif, à rejoindre les habitués du pavé pour y danser très consensuellement la carmagnole, et se faire balader très collégialement par ces militants urbains empêtrés dans les chaines ficelles des oligarchies privilèges qu'ils prétendent dénouer.
Et les autres, de ne pas tenter de rivaliser avec ce que nous avons quitté par radicalité assumée, et de garder droiture et intégrité. Radicalement.
La radicalité n'est pas le consensus mou. La radicalité est rupture avec le modèle et les conduites du système contesté. Pas seulement dans les déclamations d'intention, mais dans l'action au jour le jour, dans sa cuisine, son jardin, sur son canapé et dans son atelier.
Sans valser dans tous les sens comme une girouette en signant un chèque en blanc au dernier discours populiste.
Pas question donc de monter à la capitale jouer des coudes pour traquer un élu qui n'a pas le temps, s'en fout et s'en remet aux lobbyes. Ni de s'aligner sur les couloirs marathoniens des militants patentés, dont aucun ne vit en yourte, qui réclament toujours plus de barres HLM et de nucléaire pour l'équipement rentable des ghettos urbains. Ni de sprinter derrière les grands chefs, les mafieux, et tous les sergents et caporaux payés pour nous débusquer, nous traquer et nous « normaliser », qui ne manqueront pas d’apprécier de nous voir accourir dans la souricière, leur épargnant la chasse aux yourtes trop distantes de leurs débits de camelotes.
Pas question de céder à la panique donc, parce que sous la yourte, ça fait longtemps qu'on a vaincu la peur, et qu'il n'y a aucune raison, quelle que soit la menace, pour commencer à trembler maintenant. Pas question de travailler en urgence sur des textes argumentaires qui saccageront nos nuits alors qu'ils seront jetés à la poubelle sans avoir été lus.
Pas de lobbying, cette manœuvre des menteurs, des soudoyeurs. La vérité n'a pas besoin de lobbying, la vérité n'a pas besoin de séduire, de convaincre, de matraquer, encore moins de manipuler, parce que justement, c'est la vérité. Refuser la course aux lobbyes est donc simplement rester honnête avec soi-même, rester fidèle à ce refus de la corruption publicitaire et médiatique, de l'oubli de soi dans les divertissements et l'urgence informationnelle, de toutes ces techniques psychologiques de manipulation de masse qui ont si bien empoisonné les imaginaires contemporains. Refuser le lobbying, c'est accorder à l'autre la responsabilité de ses choix en respectant sa liberté. Un ministre se doit d'être informé, surtout quand il va pondre une loi qui concerne ceux qui l'ont élu. Or dans la tradition taoïste qui m'est chère, lorqu'un monarque règne avec justice, il ne manque jamais d'aller s'incliner devant le vieux sage perdu au fin fond de la forêt dans sa cabane.
Quand c'est un tyran qui règne, il s'emploie avec ardeur à persécuter les sages.
Non que Yurtao s'arroge de détenir une part de sagesse, mais au moins, je suis certaine que la multiplication d'installations de personnes en yourte ces dernières années exprime une résilience sociale basée sur le bon sens, cette sorte d'irrépressible sagesse populaire qui a, jusqu’à récemment, permis à l'espèce humaine sa perpétuation.
Aucune collaboration donc avec le bras qui tient la hache qui va s'abattre sur nous, avec le pouvoir de l'argent, de la pensée unique, des méthodes pourries et tous leurs jeux de massacre.
Refus viscéral d'adopter leur langue de menteurs en validant leur oxymore de développement durable largué à toutes les sauces et érigé en ministère pour nous faire avaler des cobras. Refus de se ridiculiser en implorant Mme Duflot de faire la différence entre une simple tente et cette dérive moderne et mercantile de la yourte dont des bâtisseurs suréquipés se disputent le brevet. Le site d'EELV, parti de la ministre, censure systématiquement tous les commentaires concernant les yourtes, mais les rapporteurs de la grande écologiste qui va décimer nos rangs suivent Yurtao depuis que j'y livre publiquement quelques vérités qui auraient du rester cachées. Ces fonctionnaires savent parfaitement que des milliers d'insolents braves, et souvent des bravardes, ont choisi la petite yourte toute simple pour refaire le monde en fonction de leur petitesse et de leur sobriété, inventant de nouvelles façons de vivre décemment, à leur mesure minuscule, sans rien attendre d'en haut. Et ils savent aussi parfaitement que jusqu'à présent, malgré tous les procès intentés, nous sommes légaux. C'est précisément ce qu'ils veulent nous faire payer, cette impardonnable capacité à se passer de leurs programmes administratifs hautement technicisés censés sauver la planète par ceux-la même qui l'ont planté, parce que la légalité, pour eux, ç'est le droit des nantis et banquer à vie.
Nous n'avons pas choisi d'habiter en yourte pour que le planning, la carrière, les profits et les agressions des notables et des violents gouvernent notre emploi du temps. Nous n'avons pas choisi d'habiter en yourte pour collaborer à l'étouffement de toute velléité citoyenne de vivre en accord avec les solutions émanant de notre lucidité et de notre écoute.
Nous n'avons pas à disputer aux rouges et aux verts se chamaillant les boulevards parisiens le monopole de l'action de rue, car nous sommes des ruraux, pas des citadins. Notre mode de contestation sociale s'improvise autrement, à commencer par la frugalité assumée dans tous les postes de nos vies, en particulier en résistant à la mobilité pulsionnelle enrichissant les rois du pétrole. Nous sommes des résistants à la colonisation impérialiste et occidentaliste du monde, des rebelles à la destruction organisée, en première ligne là où se massacrent les forêts, la faune sauvage, la biodiversité et l'humus, pas dans les troquets des mégapoles. Nous vivons la décroissance et la pauvreté conviviale en action, nous avons tourné le dos aux soudards et nous sommes éloignés des ogres de ce monde pour cesser de râler, réclamer, revendiquer toujours plus en dénonçant son voisin. Nous avons appris à vivre avec trois fois rien, toujours moins, un bonheur sans tapage sur lequel ils n'ont et n'auront aucune prise. Et quand à causer, expliquer et se justifier, on s'est toujours adressé aux humbles et aux proches, pas aux puissants et aux intouchables.
Leur loi d'éradication des yourtes pour nous expulser de la terre, déjà écrite, sera promulguée sans une once de notre aval. On pourra remplir des baignoires de larmes avant de s'immoler dans nos yourtes, mais ça ne fera pas une ligne à la une, car il y a des gens plus importants que nous qui accaparent le micro depuis toujours et ne le lâcheront pas pour une poignée de gueux rétrogrades arrimés à leurs piquets de tente.
Notre vocation, quand sonne l'heure grave d'une guerre d'élimination, n'est-elle pas de nous préserver de l'emballement généralisé, et de continuer calmement, par un certain recul et recueillement, à approfondir cette vision,
ce rêve réalisé qui nous a rendu notre dignité,
d'une Voie exigente qui sait parfaitement, comme le dit Vivekananda, que
« Plus les circonstances seront contre toi, plus ta force intérieure sera éclatante » ?
Restons calmes là où nous sommes, dans les campagnes, loin d'eux.
A nous recentrer sur notre propre pouvoir intérieur, c'est-à-dire la force du vide.
La Voie de la Yourte a besoin des « amis de Yurtao » pour soutenir cette vision, heureusement de plus en plus largement partagée, une vision qui s'allaite aux sources des tréfonds de l'être, dans la rencontre avec le divin, la nature, et cet imperturbable fond humain qui sait que la vie ne se monnaye pas, pour franchir ensemble les obstacles à ce qui nous relie par delà les formes.
Pour assumer la Voie de la lenteur, de la simplicité, de la retraite au maquis et, sans doute, très prochainement, puisque les autorités s’acharnent à rendre illégales nos yourtes et nos modes de vie, celle de la désobéissance civile.
Mais cette désobéissance n'a aucun caractère revendicatif et provocateur, puisqu'il s'agit non pas de défendre une idéologie, une opinion ni même une différence culturelle, mais du droit primordial d'exister dans nos propres tentes sur les terrains qu'ils nous ont forcé à acheter.
Désobéissance domestique fondée sur le droit existentiel au foyer et à la vie privée qui s'exprime par la nécessité de continuer imperturbablement ce mode de vie humble que nous considérons juste, profondément cohérent et profondément juste.
Car le seul pouvoir que nous ayons vraiment est de ne pas vendre notre âme et de garder intact notre bien le plus précieux, notre tranquillité d'esprit.
Sylvie Barbe, pour "Yurtao, la Voie de la Yourte" Mai 2013.
Auteur de "Vivre en Yourte, un choix de liberté"
sous-titré " Hymne à la sobriété heureuse"
publié aux Editions Yves Michel le 19 Avril 2013.