Du moment que tu pollues pas...
En Ardèche, Clémence, Jérome et leurs enfants habitent à la sortie d’une petite ville, en montant sur les coteaux de vignobles.
Leurs 2 yourtes sont posées sur un terrain comportant des petits jardins et une cabane.
Clémence était animatrice socioculturelle et gagnait bien ma vie mais a décidé d’arrêter pour s’occuper de son enfant, elle voulait du temps. Elle vivait dans un appartement de 60m2 avec un grand salon « où j’allais jamais et je trouvais ça stupide, mais je ne pouvais pas prendre un appartement plus petit car il fallait une chambre pour mon enfant, sinon pas d’aides de la Caf ». Avec un boulot, seule avec un enfant, pas possible d’acheter.
Elle pensait à la caravane car elle en avait marre d’être à l’intérieur, quand elle a rencontré Jérôme sur un festival, un voyageur qui possédait un « petit fourgon ». Celui-ci lui a vite confié qu’il aimerait bien vivre en yourte. Il cherchait un autre camion et le vendeur contacté avait aussi une yourte à vendre. Clémence a jaugé ce qu’il y avait dans son appartement pour évaluer si ça rentrerait dans une yourte. Les parents étaient ok pour mettre à disposition le terrain familial où ils passaient les week-ends entre amis.
« Allez, on tente le coup !
Et ça été comme une évidence après ! »
C : « C’est de la chance parce que...
va trouver un mec qui va te suivre dans tes idées farfelues ! »
C : « Plein de choses ne sont pas logiques dans un appart, comme tirer la chasse, je voulais des toilettes sèches...tant qu’à faire, je préfère la nature ».
J : « L’hiver en appartement, tu deviens fou tout seul! Si c’est pour prendre un boulot et rentrer le soir...On a hésité avec le camion mais comme le gamin était scolarisé...Le camion, c’est la liberté, mais je n’étais plus dans ce délire nomadisme, et la liberté, on l’a retrouvée ici parce que c’est ouvert... ».
Le cabanon de 20m2 construit en bois, béton, tôle et amiante il y a 40 ans pour ranger les outils de barbecue a été agrémenté d'une cuisine sommaire.
Aux yourtes sont venues se rajouter le poulailler, des fruitiers, la cabane pour toilettes sèches. Copains et proches plantent leurs tentes pour faire les saisons ou un potager. Ils ont essayé de faire venir l’eau de la source mais elle s'est avérée trop calcaire pour la boire, donc il a fallu opter pour des bidons de 8l.
Clémence et Jérôme n'étaient pas d’accord au début car lui voulait juste poser les yourtes et elle, elle voulait « faire ça dans les règles ». Jérôme a inscrit sa domiciliation au CCAS de la ville pour « être couvert pendant l’hiver ». Le voisin direct très bienveillant les a raccordé à l’électricité en posant un compteur. Ils s'en sortent pour seulement 50 euros par an d’électricité. Le compteur est illégal en attendant une installation en panneaux solaires, pour ne plus être reliés au nucléaire. « On a les panneaux, mais les batteries, il faut qu’on aille gagner notre vie cet été pour les acheter et être autonomes ». Ils ont un poêle pour le chauffage et récupèrent du bois alentour.
C: « Par rapport à la vie que j’avais avant d’appart en appart, c’est clair que la yourte apporte énormément de stabilité. La yourte, t’as pas envie de bouger. Tu te sens plus ancré.
Quand il fait froid, on aurait pu craquer et retourner en appartement, mais tu peux plus, une fois que tu as commencé à vivre dans un habitat alternatif, si tu reviens dans le système classique, c’est comme si tu te tirais une balle dans le pied ».
J : « En appartement, tu finis ivrogne ».
C : « Vivre dans un appartement, c’est vivre avec tes voisins... Je crois que je ne pourrais plus si ce ne sont pas des copains. Ce qui est beau, c’est de construire sa maison...et ça va vite. Ils veulent nous mettre dans des apparts ou des maisons, ils ne nous laissent pas le choix. Même une cabane en bois, on nous prend pour des hurluberlus.
Les gens qui vivent en camion, ils veulent être nomades, ils veulent la liberté, et en yourte, tu veux la nature, tu veux respirer... Il y en a aussi qui vivent dans des bateaux sur le Rhône avec des enfants. »
J : « La vie en yourte, c’est une envie de se séparer de choses qui servent à rien . La vie en camion, c’est plutôt une vie communautaire et moi, j’aspire pas à ça. On a posé la yourte au moment où tout le monde a décidé de poser sa yourte, sans se concerter. C’est une dynamique qui devait traîner depuis un moment ».
C : « Les gens ont envie de vivre autrement, aller près de la nature pour certains, et d’autres parce qu’ils n’ont pas le choix. C’est économique et c’est un luxe. Ici, on a la chance de pouvoir avoir très peu et de vivre très bien, ce qui est différent dans d’autres pays où il faut aller aux champs toute la journée. Mais quand même la vie en yourte, c’est pas pour tout le monde, pas pour les ultra-urbains, car c’est du travail ».
J : « J'ai fait une formation d'ouvrier agricole. En appartement, faire les saisons, ça n’aurait pas été possible, la yourte nous a fait gagner du temps. Je ne dis pas qu’un jour je ne demanderai pas le RSA mais vu que je ne prend pas part à la politique et aux institutions, je ne vois pas pourquoi je demanderai des aides, histoire d’être cohérent. Mais quelques fois, on peut ne pas être cohérent. J’ai travaillé dans des accueils de jour et j’ai vu des SDF qui sont malheureux, plongés dans des problématiques d'alcool, de drogue, parce qu’ils aspirent à retrouver la caisse qu’ils avaient avant, le costume qu’ils avaient avant, ils ont pas envie de vivre en yourte, d’être tranquille et d'avoir la liberté. La yourte ne peut pas être salvateur dans ce cas-là. »
Deux mois après avoir posé les yourtes est arrivée une lettre de la mairie chez les parents, qui ordonne le démontage sous 15 jours. Mais impossible de partir si vite, donc ils ont demandé rdv avec le maire.
J : « Qu’on nous mette une réglementation, ok parce qu’on est nombreux, et par ex, il y a des cabanes de tôles rouillées or il faut préserver l’environnement. Mais où mettre la limite ? »
C : « Ce qui étonne toujours, c’est quand on dit aux gens qu’on n’a pas le droit de rester ici, ils rétorquent : vous êtes chez vous pourtant ! Eh bien non, tu fais pas ce que tu veux chez toi ! »
J: « La loi devrait être faite pour les Hommes et l’environnement ».
C: « Il faut passer par une phase de désobéissance pour faire avancer. Exemple les toilettes sèches interdites puis légalisées dernièrement, l’assainissement et la phyto interdits et en cours de validation...La première question des gens, c’est « comment vous faites caca ? Au début, les toilettes sèches, ils nous prenaient pour des fous . En fait, on est trop en avance pour les lois et le système. On vit comme des arriérés mais on est trop en avance ! Alors, tu passes par tous les stades. Allez, je vais proposer une taxe d’habitation et comme ça on est intégré dans la ville, approuvé à la mairie, on est bien dans le système. Après tu te dis, je ne veux pas de loi, qu’on nous laisse vivre comme on veut à partir du moment où on ne pollue pas. »