Jaune merveille
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Pétillement du matin.
Il est cinq heures et déjà un flot de bonheur s'immisce entre les couvertures malgré le froid.
Mon thermomètre s'est renversé, il affiche moins trente quatre.
Grand éclat de rire.
Je ne suis pas au Canada, pas encore ! Il faut changer les piles.
Le vent souffle, les nuages ont du se dissiper pendant la nuit, la pluie nous épargnera peut-être aujourd'hui. Alors je me prépare. Dans mon ventre, ça tangue déjà de plaisir, un vrai toboggan d'amour.
Ça a commencé dés l'émergence des brumes oniriques, où je rêvais que je demandais à ma mère un plant de son grand caoutchouc pour le ficher dans un pot de ma nouvelle serre. Et puis j'ai vu ce lait qui coulait de mon sein gorgé, même quand le bébé s'arrêtait de téter, ce filet de lait vivace qui giclait devant moi.
Je ne sais rien de cette journée,
elle est comme une page blanche au seuil de l'aurore,
mais déjà je l'adore.
Le feu crépite dans le petit poêle, une bouilloire pleine de thé chaud m'attend à volonté. Mais je ne vais pas rester blottie dans la yourte un jour sans pluie.
Dehors est trop bien.
Dés que le jour pointera, je sortirais du nid.
Dés que la lumière reviendra,
je la célébrerais au sein de la nature.
Ce qui s'y passe me soulève de joie, je ne veux rien manquer
de cette agonie flamboyante le jour de mon anniversaire.
Loin des rues et des places,
et mêmes des maisons,
je veux tomber à genoux sur un tapis doré de feuilles dentellées
rutilant d'humidité,
je veux me noyer dans les étoiles citronnées jonchant la terre molle,
je veux m'enfoncer dans la mousse aux pores écartelées,
dans le lichens ressuscité, les gousses et les bogues baillantes,
je veux m'aveugler du jaune étincelant des châtaigniers
dégainant leur dernières pulsations,
je veux danser au milieu des roseaux mordorés,
courir m'extasier sous le ginko en plein délire,
m’asseoir au bord du torrent à contempler comment s'enroule le courant dans les cavités où s'agglutinent en larges colliers feuilles mortes et bois cassés,
et boire jusqu'à la lie le chant joyeux de l'eau sautant sur les rochers.
Tout cet or érigé en oriflamme
comme un bouquet final,
c'est l'ultime générosité du soleil qui,
offrant le viatique indispensable à la traversée des grandes eaux, promet son retour.
Sujette inféodée du somptueux souverain, j'assiste, suffoquée d'honneur, frissonnante de vénération, à la grande cérémonie du coucher de mon suzerain.
Liesse empreinte de nostalgie devant l'hécatombe tourbillonnante des formes,
des couleurs en déliquescence,
des matières en dessiccation, des parfums en décomposition.
Toute sève exsude son ultime énergie, postillonnant grandiose
comme un dragon conquis envoie sa dernière charge sauvage.
Il faut que je remercie ce feu d'artifice automnal,
dont l'ardeur ferrée au fond de mes yeux
me fera tenir tout l'hiver.
Je veux rendre grâce, * * *
* * * partout où foulent mes pas,
aux jets d'arc-en-ciel qui suspendent mon souffle en cri d'admiration ,
aux cabanes perdues
dénichées sous les frondaisons lumineuses,
aux flaques anodines brillant comme des joyaux
dans l'air exhalant un humus torride,
aux milliers de champignons offerts sous mes bottes,
aux grands arbres se dépouillant de leur splendeur
pour nourrir le monde minuscule,
qui grouille hors de ma vue
avant de s'ensevelir dans le silence du froid qui vient.
Je veux rendre grâce, * * *
* * * partout où foulent mes pas,
aux tonalités éblouissantes des puissances en régression.
Car si j'ignore dans quelles profondeurs elles s'enfoncent,
je sais pourquoi elles se retirent.
Quelque chose en moi fait pareil,
s'éclipser pour chercher au cœur du chaudron intérieur
la flamme qui rejaillira au printemps.
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