Jean-Paul Gendry est mort le 17 Janvier 2014
dans sa yourte
installée au pied du Mont-Saint Michel.
Affaibli par tout un ensemble de circonstances, l'explosion de son poêle a été un accident terrible qui a contribué à la dégradation brutale de sa santé au cœur d'un hiver particulièrement humide. Que s'est-il passé ?
Jean-Paul avait construit lui-même dans sa yourte un four bas en argile nanti d'un tuyau d'évacuation latéral sous le plancher. Un couple d'amis l'a convaincu de changer de chauffage car le petit four ne leur semblait pas suffire pour passer l'hiver. Ils ont amené un poêle en fonte d'occasion que Jean-Paul a installé à la place du four qu'il a détruit. Il a aménagé difficilement un raccord. Au bout de quelques temps, la nuit, le tuyau de poêle a explosé. Jean-Paul a failli mourir, a-t-il confié à sa famille, mais on ne sait pas ce qu'il a subi. Intoxication ? Il en est resté très choqué et très affaibli, sûrement malade .
Sa sœur estime que cet accident de poêle a mis en évidence un risque que Jean-Paul n'avait pas prévu en raccordant le tuyau à l'évacuation latérale alors qu'il semble maintenant qu'il ne pouvait convenir qu'à une évacuation par le haut. Elle souligne combien Ce tragique accident rappele la necessité d'écarter tout danger en étant particulièrement attentif et prudent lorsqu'on procède soi-même à l'installation d'un système de chauffage.
Si je parle ici de ce drame, c'est parce que je me sens concernée, affectée et peinée.
Jean-Paul m'écrivait régulièrement depuis la fondation de l'association Cheyen, il rédigeait des lettres manuscrites où il versait son cœur, ses espoirs, ses révoltes, ses démarches, sa quête, ses questionnements. Comme moi, il pratiquait la décroissance, n'avait pas de téléphone portable qu'il jugeait nocif, il n'avait pas non plus d'ordinateur. Débrouillard, il était sorti du système de consommation et vivait pauvrement, en assumant ses choix. Je lui répondais donc par courrier, et certains Cheyen se sont joint parfois à mes missives. Cet homme idéaliste, absolu, torturé et généreux envoyait chaque année un billet pour soutenir la cause des yourtes, il apportait humblement son obole, lui qui n'avait rien, à qui on avait retiré son RSA pendant des mois (parce qu'il ne justifiait pas assez la volonté de se réinsérer et soupconné de dissimuler du travail au noir)
et qui faisait don de sa personne, de son temps et de son aide à tant d'autres en détresse.
Jean-Paul vivait seul dans sa yourte fabriquée de ses mains qu'il avait posé sur un terrain familial agricole, il bricolait tout ce dont il avait besoin. Il cultivait un jardin, avait quelques poules. C'était une force de la nature, un costaud qui n'allait pas de main morte dans les travaux, qui aimait les prises de risque et se montrait très obstiné quant à la conquête de son autonomie et sa cohérence écologique.
Dans sa jeunesse, à la fin des années quatre vingt dix, féru de kayak de mer, il avait rejoint l'Angleterre seul dans son embarcation malgré une météo pourrie, en partant de Cherbourg, puis relié la Corse depuis la côte d'Azur. Très physique, il donnait à fond son énergie et croyait en la gratuité du don. Pourtant, il a été déçu par des profiteurs abusant de sa générosité et son honnêteté. Il aidait en particulier des SDF qu'il sortait de la rue, et il a aussi travaillé au Secours Catholique jusqu'à ce qu'il soit écœuré par des bénévoles qui se servaient largement en premier.
Il protestait contre le nucléaire, avait écrit aux médias et aux politiques pour demander l'arrêt des travaux de l'EPR Manche. Il n'était donc pas raccordé au réseau, tout en s'étonnant que les écologistes locaux ne remettent pas en question l'abondance d'électricité. Il protestait contre les grands travaux inutiles et polluants tels que ceux du Mont Saint Michel en écrivant des lettres argumentées, mais il se sentait relégué dans l'indifférence et avait conscience de son impuissance et de son isolement contre un système ayant peu de considération pour les personnes et la nature.
Il était devenu végétarien par conviction morale, avait arrêté le tabac et cherchait à aligner ses idées avec sa réalité, mais il souffrait de solitude dans un monde très individualiste dont il refusait le vampirisme et le mercantilisme.
Pour sa yourte, il avait écrit au maire, au député, au conseil général et au président de la république pour exprimer sa situation précaire et ses solutions courageuses. Sans réponses, il déplorait que personne dans la région ne soutienne sa démarche, et aussi que les gens lui renvoient trop souvent une image de monstre, comme si son choix de vie différent le rendait dangereux pour la société...
En 2011, après plusieurs mois d'hiver dans le noir, il a fait coudre par un artisan breton membre de Cheyen, Yann Marty, un chapeau de yourte transparent, qui lui a offert la lumière dedans. C'est à ce moment qu'il a été exclu du système RSA. Pourtant, il aurait eu bien besoin de faire refaire sa toile de toit pour être au sec. Mais malgré sa sincérité et son intégrité, malgré de nombreuses démarches, il s'est retrouvé totalement démuni et sans argent.
Dans cette traversée du désert, il a renoncé alors « au combat, à la confrontation aux incompréhensions, aux inégalités, aux injustices, à l'hypocrisie, aux mensonges... Pour apaiser mes souffrances, je me retire humblement dans ma yourte car je ne vois plus ma place dans ce monde de forts. Je m'en remets au grand mystère de la vie pour m'indiquer le chemin de la paix, continuer à rêver, créer, vivre un monde plus juste, de respect pour les animaux, les plantes, Gaïa... »
Durant ce cheminement, il a continué à améliorer la yourte, les chemins, le jardin, l'autonomie énergétique, s'est fabriqué un cuiseur à bois pour ne plus dépendre du gaz, et a continué à aider les autres sans attendre de retour. Il s'est mis à l'écoute du présent, a appris à identifier les blocages comme des leçons de vie, et a réaffirmé ses choix basés sur des valeurs de simplicité et de respect. Finalement, cette épreuve de dénuement total lui a fait gagner en paix intérieure, tant un destin se forge avec autant de volonté que d'abandon, même s'il a toujours continué à se considérer en état d'exclusion sociale et de grande précarité.
Dans son four auto-construit, Jean-Paul cuisait son pain,
mais aussi le pain qu'il offrait aux nécessiteux ( trop exclus pour toucher le RSA) grâce à son allocation minimum retrouvée.
A l'automne 2013, il a cumulé problèmes administratifs, matériels et humains, son humeur en pâtissait, mais il jurait d'arriver à s'en sortir coûte que coûte. Il avait beaucoup maigri et semblait miné, exténué. Usé par des relations insatisfaisantes et difficiles, par une vie très rude, il ne voulait plus faire de concessions ni recevoir d'aide. Peut-être était-il malade, mais il ne l'a pas pris au sérieux, et de toutes façons se soignait par lui-même de façon naturelle. Dans l'hiver, il a beaucoup changé, il était très révolté, accumulait les ennuis, la fatigue, les déceptions, semblait au bout du rouleau. Il a voulu régler pas mal d'affaires en cours, récupérer des objets prêtés, dégager de veilles remises, faire propre, il entreprenait de gros travaux de nettoyage dehors, sciant toujours tout son bois à la main.
Après l'accident du poêle, au cœur de l'hiver, il n'a plus eu de chauffage. Il a refusé tout autre hébergement. Il voulait rester dans sa yourte, dans ce qu'il avait construit, car c'était là le sens de sa vie, ce labeur modeste du quotidien qui lui rendait son honneur. Quand on sait le temps qu'il a fait et qu'il fait encore en Bretagne, on peut imaginer l'état d'humidité et de froid dans une tente. Pourtant, il avait commencé à reconstruire un nouveau petit four en argile à la place du poêle (toujours pas sec aujourd'hui). Et il a continué à débroussailler, couper du bois, sans tronçonneuse. Il y allait en force, sa voisine se rappelle l'avoir vu, peu de temps avant son décès, s'acharner avec des coins sur une grosse poutre qu'il voulait débiter.
Jean-Paul est mort d'épuisement, au bout de lui-même, à l'âge de 46 ans, parce qu'en France, aujourd'hui, on peut mourir de dignité.
Les médecins et la famille disent que Jean-Paul s'est tué à la tâche, que les efforts physiques ont été trop violents, que le corps a lâché.
Que ça arrive à des hommes dans la force de l'âge.
Moi je dis que la dignité, celle dont on a tellement besoin pour exister, peut faire arrêter un cœur de battre.
Et je dis que je ne laisserais plus jamais quiconque traiter des personnes bénéficiant de la solidarité sociale de paumés, paresseux ou parasites.
Je suis certaine que quelques yourteurs se reconnaîtront dans ce témoignage, cette façon de vouloir prendre en charge sa cohérence et son autonomie sans plus rien attendre de personne, jusqu'à en arriver au bout du rouleau. Moi entre autres.
Il reste cependant que cet homme est mort dans sa yourte, le meilleur endroit pour rendre son dernier soupir.
Pour terminer ce triste message, voici un extrait de « La prière d'un artiste » qu'il m'a recopié dans sa dernière lettre :
« O grand Créateur,
Aidez-nous à croire qu'il n'est pas trop tard
Et que nous ne sommes pas trop petits et trop imparfaits
Pour être guéris
Par vous et par chacun d'entre nous et rendus entiers
Aidez-nous à nous aimer les uns les autres
Pour nourrir l'épanouissement de chacun
Encourager le développement de chacun
Et comprendre les peurs de chacun
Aidez-nous à savoir que nous ne sommes pas seuls
Que nous sommes aimés et aimables
Aidez-nous à créer
Comme si c'était un acte de respect et d'amour à votre égard. »
Emplie d'une tristesse sans nom...
Je reviendrai ultérieurement
Il me faut digérer cela...