L'immensité d'où ça vient
Ce n'est pas seulement là où je suis.
C'est l'immensité d'où ça vient.
C'est la clarté et le silence d'où c'est né.
Ce n'est pas seulement la yourte
et pourtant, ce n'est que la yourte.
Dans cette peau bien mince autour d'un cercle vide,
dans cet espace à peine couvert, on peut, à partir de rien,
écouter le monde entier palpiter.
Au début, il n'y avait pas de conceptions sur la yourte.
Il y avait sur des images la façon dont c'était fait,
mais socialement, ici, il n'y avait pas de modèles, pas de pressions.
C'est peut-être grâce à cette absence de représentations,
avant les marchands,
que j'ai vu combien la yourte n'était pas qu'un abri
et combien plus qu'une tente.
C'est en partie grâce à l'absence de prescriptions du système
que l'œil limpide a pu s'ouvrir dans cette intimité.
Une vision grande ouverte qui m'a fait rencontrer la liberté du dedans.
C'est étrange comment, de la limite qu'on s'impose en clôturant un tout petit cadre et en retournant le regard vers soi, peut naître une conscience tellement large, un regard si vaste, une joie si profonde, capables de franchir le manifesté et s'établir dans la durée.
La yourte peut bouger partout. Elle se replie et s'en va.
Pourtant, c'est là que je me suis fixée
et que j'ai arrêté de chercher ailleurs la meilleure place.
Maintenant que je reste immobile,
pas un jour sans huiler les gonds de la perception,
pas une nuit sans fêter les noces de l'océan avec le firmament.
Je reste immobile sous le vent comme un arbre, et mes racines s'étendent dans la forêt, calmement, dans le noir profond de la terre. Alors l'incommensurable réseau de connexions du vivant se creuse et m'enfonce aux origines du monde. Plus je descends, plus j'approche le centre de la terre, jusqu'à découvrir un espace vide d'où est pulsée la matière.
Je reste immobile sous le vent comme un oiseau chantant le printemps, emportée dans le ciel et planant sur les courants d'air, et mes ailes s'étendent de plus en plus loin dans une transparence d'azur et de nacre. Alors l'imperceptible filet d'oxygène et d'ozone qui entoure le monde me propulse aux confins de l'univers, et plus je monte, plus mon œil s'agrandit, plus la terre rapetisse, jusqu'à flotter sur l'espace vide où s'orbite la matière.
Je reste immobile sous le vent comme une grenouille au bord de l'eau à livrer mes têtards aux ondes qui s'en vont dans le flux de la rivière. Alors l'impondérable fragilité de la vie m'emporte dans le ventre d'un poisson gobé par une baleine jusqu'aux soutes digestives du vivant. Plus je suis digérée, plus je saisis l'impérieuse nécessité d'un estomac vide à appeler le destin de tonnes de matières.
Je reste seule et tranquille sous le vent comme une ourse sur la banquise qui fond, attendant le phoque qui ne vient plus se faire prendre, et plus j'attends, plus la glace se délite et plus la mer s'ouvre. Le trou reste vide, il ne donne plus de matières et quand l'ourse s'affale,
le rêve s'arrête et c'est le réveil.
Alors je vois d'où est pulsée la matière,
pas de là où je suis,
mais de l'immensité au-delà de mes pieds, de ma tête,
au-delà de la yourte et de la colline,
ondes engendrées du vide impérissable
d'où naît la porte que « je suis ».