GAIABELLE,
la yourte qui niche sur les collines cévenoles.
C’est l’histoire d’une petite yourte pleine de soleil qui se balade en Cévennes, une yourte pleine d’histoires d’amour et d’histoires de vie poignantes, qui a contenu tant d'émotions qu’elle est maintenant comme une vieille dame heureuse repue de sagesse.
Il y a plus de vingt ans, je fabriquais une yourte sur le balcon de mon HLM lorsqu’est arrivé le drame le plus terrible de ma vie. On m’a ramené mon enfant prostrée et muette. Je ne sais de quelle indicible agression, de quel crime elle survivait, mais j’ai su immédiatement que seul l’amour pouvait guérir. Je ne savais pas sur quelle île nous étions échouées et si quelqu'un viendrait nous aider. J’étais juste là, à côté, totalement là, démunie, je n'attendais plus rien. On était allé trop loin dans le désastre. J'écoutais son silence. Je continuais à la materner comme un bébé quand je ne bricolais pas ma yourte. Je peignais sur les treillis bleus, j'ai posé des pinceaux à sa portée, un verre d'eau. Au bout d’un mois, elle a tendu le bras. La perche sur mes genoux touchait les siens. Elle a trempé le pinceau dans le godet et s’est mise à dessiner de jolies arcades sur le bâton bleu. C’était son premier geste. C'était le début des yourtes. Les premiers treillis. A côté de mon style pictural précis et surligné, elle a inventé des animaux bigarrés en mélangeant plusieurs touches de couleurs, c'était très joli.
J’ai dit : « C'est joli, Émilie. »
Elle a répondu : « Toi aussi, c'est joli. »
C’était ses premiers mots. Là, sur mon vieux canapé en patchwork de velours côtelé, alors que nous nous appliquions côte à côte sur nos morceaux de bois, ma fille, au bout d'un mois de silence et de catalepsie, s'est remise à parler. Puis à sourire. Puis à manger. Puis à marcher. Puis à nous regarder.
Alors ces treillis, pour moi, ils sont plein d’émotion. Ils sont plein d’elle, qui n’est plus.
Et les différents propriétaires de cette yourte qui vogue autour d’ici le savent.
Aujourd'hui elle a repris vie, et vibre à l'unisson du printemps.
Dés sa naissance, Gaiabelle s’est d’abord nichée dans la forêt d’un creux de vallée au sein d’un écohameau, toute petite sous les frondaisons de châtaigniers.
Des cercles de femmes
des enfants un peu sauvages,
des femmes et des enfants libres y ont chanté, dansé, rêvé dans le cercle bleu.
Puis, avant que je trouve un bon endroit pour mes yourtes,
elle s’est cantonnée sur une petite terrasse derrière mon atelier,
faisant la joie des adolescents du quartier.
Ils dormaient sur une bâche étendue à même la terre battue, ce n’était jamais plat,
à cause des monticules des taupes qui migraient pendant la nuit.
Assez vite, nous l’avons déplacé à quelques dizaines de mètres sur le nouveau camp.
Un montage tranquille et joyeux,
où mon amie C. a eu le coup de foudre pour Gaiabelle.
Encore des cercles de femmes ont animé Gaiabelle,
puis la yourte a passé un hiver, son seul hiver, sur le Cantoyourte,
une année où la neige a été abondante.
Comme je poursuivais dans mon élan constructif, n’étant pas à court de yourtes ni d’envie de continuer de nouvelles créations, j’ai cédé la yourte soleil à mon amie. Ma fille venait de s'envoler au ciel, j'ai laissé partir la yourte qu'elle avait décoré. Mon amie l’a emmenée dans une autre vallée, pas loin, de l’autre coté de mes collines méridionales, pour la planter dans son jardin aux belles saisons.
S'y reposer et soigner des personnes fatiguées.
Jusqu’à ce qu’elle la transmette récemment à un ami vivant accroché à une pente cévenole dans l’exiguïté de sa clède. Qui s’est offert Gaiabelle, la yourte soleil, pour faire résonner ses tambours.
Voici maintenant les images du dernier montage de Gaiabelle, chez l’ami qui aime non seulement les yourtes mais aussi tous les bouts de bois extraordinaires et les carcasses abandonnées dans les ravins, et qui comme moi, les rabote, les caresse et y dépose quelques motifs à son goût.