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YURTAO, la voie de la yourte.
20 octobre 2021

Chasser ou être chassée.

Ce sont de bonnes bêtes, pas méchantes pour un sou, un peu pataudes, bravaches, balourdes. Presque attachantes. Pourtant leur nombre m’empêche de les aimer.

Je ne le déteste pas non plus bien qu’elles m’en fassent voir de toutes les couleurs. Et pourtant elles sont loin de m’être indifférentes.

Elles m’ont obligé à penser à elles tout le temps, pire qu’un amant. J’ai fini par leur faire du mal et je cherche encore la bonne solution pour l’éviter. Je ne cesse de tournicoter dans ma tête une méthode, une astuce viables pour gérer notre relation sans violence, et j’avoue que je n’y arrive pas. Je sais que ça dure un bon mois pas plus, jusqu’à ce que le froid se fasse plus mordant et que chacune soit calée dans son refuge, mais pendant ces jours là, elles me bouffent la moitié de mon énergie. Quand il y en a beaucoup, et là ça commence à faire nettement trop, certaines se jettent sur moi, m’obligeant à me statufier, de crainte que, par un mauvais geste, j’en fâche une qui me largue son poison olfactif. Ce qui impliquerait le sacrifice de mes vêtements et un récurage parcimonieux de tout ce qu’il y a dessous. J’ai donc du apprendre à accepter, contre ma volonté, une certaine intimité. Elles s’imposent jusque dans mon lit, et bien que ce ne soit pas délibéré chez elles, elles franchissent une limite interdite qui leur vaut des évacuations musclées.

Donc je me suis mise à les chasser. Un gouffre !

Quand il fait chaud, ça vole sans gène dans la yourte avec un bruit lancinant de planeur, ça se colle aux rideaux, aux habits, aux tentures, aux coussins, avec une nette préférence pour les surfaces claires.

Impossible de se chausser sans vérifier qu’il n’y a personne dans les pantoufles et les guêtres, et tiens là, pendant que j’écris pour rationaliser mon exaspération, l’une d’elle s’interpose entre la souris et le carton qui me sert de sous-main. Je sais bien ce qu’elle veut : elle cherche à se rapprocher de la batterie de mon note-book qui émet une douce vibration tiéde afin de se cacher dessous et hiverner tranquillement. Donc je suis obligée de me lever, ce qui n’est pas simple, vu l’embrouillamini de fils qui me protègent d’une intoxication aux ondes magnétiques de mon clavier. Bon, je pousse tout ça sans m’emmêler les pédales, je ramasse ma pelle et mon balais et je ramène la bestiole dans mes rets. Faut que je fasse vite car le jour monte, donc la chaleur la dégourdit et la réveille, ce qui implique qu’elle retrouve lentement ses capacités aériennes. Si elle montre des velléités de s’échapper, je secoue légèrement la pelle pour la calmer. Elle se retrouve fréquemment sur le dos, alors je suis tranquille, elle n’est pas encore assez gaillarde et n ‘a pas assez d’énergie pour écarter ses ailes et se propulser à l’endroit. Elle me montre son ventre blanc et ses six petites pattes qui gigotent faiblement. Je sors, dévisse le couvercle du bocal abominable dont l’odeur pestilentielle m’accompagne désormais quotidiennement, et la fais rejoindre ses copines.

C’est là que je culpabilise atrocement.

A chaque ouverture du bocal.

Au début, je me contentais de les rejeter en l’air, et fatalement, elles revenaient. Donc aucune chance d’en arriver à bout et de pouvoir dormir en étant certaine de ne pas en écraser une pendant mon sommeil. Le pire qui puisse arriver, puisque la pauvre bête serait obligée de lâcher son jet puant, me privant de ma couche pour toujours et de ma yourte pour un bon bout de temps. Donc il est inévitable que je les chasse. Avec persévérance et âpreté. Au début, une vraie bagarre, maintenant, un rituel quasi philosophique.

Au fil des jours et du côtoiement obligatoire, j’ai affiné ma méthode de capture. J’ai fini par comprendre comment elles vivent, leurs goûts, leurs préférences, leurs habitudes. Inutile de tenter de les attraper la journée, elles s’envolent de suite. Donc il faut s’y prendre le matin tôt et le soir quand il fait nuit et que la fraîcheur commence à les calmer. La plupart du temps, elles sont agglutinées sous la couronne, le cristal transparent et le haut des perches de la yourte, normal, c’est là qu’il fait le plus chaud. En journée, elles zigzaguent en vrombissant entre les courbes de la couronne, et leurs taches noires contre la lumière permet facilement d’évaluer leur nombre. C’est là que je constate à quel point je ne suis plus chez moi. Au début, ça m’horripilait, maintenant qu’elles m’ont forcé à rentrer dans leur jeu, je comprends de mieux en mieux comment les premiers humains ont du négocier durement et patiemment, des millénaires durant, leur place dans la nature. Et comme ces bêtes là ne sont pas dangereuses, je m’estime heureuse, et même reconnaissante que ça ne soit pas pire.

Le matin au réveil, ma première pensée est pour elles.

Pas question de poser le pied sur l’une de ces petites carapaces gisant sur mon tapis. Car durant la nuit, le froid les transit au point que si elles ne sont pas bien amarrées, leurs pattes lâchent et elles chutent sur le plancher. Donc la première corvée est d’allumer ma frontale au raz du sol, de sortir du lit avec précaution et de ramasser les imprudentes dans ma pelle. Je m’habille vite fait et je commence la journée par la chasse, le moment de leur paralysie étant le plus propice. Parfois quand je me réveille en pleine nuit, j’en entends tomber sur le plancher ou la lirette, un bruit mat et sourd qui ne trompe pas. Je ramasse mon petit monde et je le sors.

Pour celles qui sont bien accrochées, j’ai développé un outil sophistiqué : d’abord un simple bambou creux que j’applique tout en haut en visant leur corps pour les faire tomber dans la tige. Un peu pénible, car une fois l’animal dans le bambou, il s’y accroche et je suis obligée de curer pour le sortir et le transvaser dans le bocal, donc risquer de le blesser et éjecter son fiel. Aussi ais-je introduit dans l’orifice de mon bambou une sorte de cuillère sculptée dans un morceau de châtaigner, avec laquelle je les bouscule pour les décrocher. Floc ! Ne pas louper de repérer où tombent mes petites bestioles, et je n’ai plus qu’à les ramasser et les transférer dans mon piège nauséabond.

Sinon, quand elles sont à portée de main dans des plis textiles, je pose mon bocal dessous, sans pouvoir me boucher les narines, et les pousse dedans. Je déteste ça, pas seulement à cause de l’odeur, mais parce que je sais bien que je leur ouvre les portes de l’enfer. Je suis incapable de les tuer en les écrasant lorsqu’elles gisent les quatre fers en l’air, groggyes et sans défenses, je préfère fermer le bocal et ignorer ce qu’il passe dedans, c’est lâche.

Mais dés que je visse le couvercle en croyant que c’est fini, que je les ai toutes eues, que je répands quelques gouttes de lavande pour compenser la puanteur, que je range mon bambou et ma pelle et que je commence à envisager de commencer ma journée, immanquablement, une nouvelle tâche noire surgit dans le faisceau de mon activité, des tâches qui deviennent mon obsession, j’en vois partout comme dans un cauchemar, et je rouvre le bocal en soupirant : il semble que cette chasse n’en finisse jamais.

J’ai inventé des pièges rusés, comme laisser des tissus tassés en appât, un vieux matelas en laine où elles s’agglutinent en chapelets, et c’est vrai que là, j’en attrape à la louche, mais je préférerais largement trouver un système opérant de déviation définitive. La menthe que j’ai généreusement étalé et aspergé n’a eu aucun effet. L’ail en poudre infusé dans de l’eau que j’ai vaporisé du haut de mon échelle sur toute la yourte non plus. Et je commence à croire que la chasse elle-même est inefficace, car il y en a partout dans toutes mes cabanes et mes abris, sous les pierres, dans tous les replis, partout, dehors et dedans, c’est une invasion. Il y en a le double que l’année dernière qui était la première année, alors je n’ose imaginer le prochain automne, le troisième en compagnie de ces armadas, puisque une seule punaise pond au printemps de 300 à 500 œufs !

Faudra t’il alors déclarer forfait et me laisser chasser par une armée de gentilles et inoffensives punaises des bois ?

punaises des bois capturées

Arrivées récemment d’Asie, elles n’ont pas assez de prédateurs. Les merles s’en approchent mais je ne les ai pas encore vu s’en régaler. Sans suffisamment de prédateurs, eux-mêmes décimés par l’homme, elles prolifèrent. Et c’est l’infestation dans les jardins. Comme l’espèce humaine. On a au moins ça en commun, et c’est sans doute ce qui se joue à chaque invasion ou épidémie provoquée par une rupture d’équilibre écologique. Une rivalité de suprématie engagée depuis très longtemps, que l’arrogance humaine croit avoir remporté. L’homme désormais circule partout en transportant sa démesure et son inflation comme un poison universel, s’intoxiquant lui-même de son incapacité à ravaler son orgueil et se considérer comme un simple maillon dans la danse des êtres vivants. Maintenant c’est trop tard : confrontés à une vague de Nemesis de la nature, cette vengeance d’organismes étrangers qui revendiquent leur place sur la planète, nous ne savons pas reconnaître notre défaite, nous ne savons pas réparer, seulement rajouter un peu plus de maladresse, de vanité déplacée et de destruction dans une course folle en avant. Bien entendu, des tas d’entreprises juteuses mettent sur le marché des produits toxiques pour se débarrasser des petites bêtes comme des méchants virus, mais aucune combinaison chimique artificielle ne peut fonctionner à long terme, car la réalité démontre que le rétablissement d’une réponse écologique demande le temps long des arbres dont la nature est seule spécialiste. Alors je n’ai aucune illusion : je chasse par nécessité juste pour être un peu tranquille, pas pour diminuer un fléau. Et en cela, je démontre une impuissance aussi flagrante que celle des gouvernements confrontés à une pandémie qui a ses racines bien trop loin dans un réseau karmique qu'il est incapable d'analyser.

Finalement, un jour, j’ai regardé dans le bocal. J’ai regardé l’horreur qui avait monté, il fallait bien vider ce satané bocal. Et j’ai vu comment ça se passe quand il y a surpopulation dans un endroit fermé. J’ai eu du mal à regarder, j’ai été prise d’un profond dégoût et de désespoir car je ne sais pas comment me sortir de cette affaire dignement.

Car dedans, dans cet affreux bocal, ça se torture et ça s’entre-tue, et c’est de ma faute.

Ce jour là, alors que je venais de récolter une colonie sous un plastique chauffé au soleil, j’avais trouvé dans ma pelle un scorpion au beau milieu, qui a glissé avec elles dans le bocal. Le scorpion qui dormait tranquillement a érigé sa belle queue noire en arc de cercle en surnageant au milieu d’un océan de punaises à différents stades de lutte ou de décomposition. Je suis allée creuser un trou dans la terre un peu plus loin et quand je suis revenue pour emporter et verser mes bestioles dans leur dernière destination, le scorpion avait disparu. Englouti.

Parait qu’on peut déverser là où pululullulululuent les punaises diaboliques une certaine sorte de fourmis (Anastatus bifasciatus) qui se nourrissent de leurs œufs, mais vu que j’ai déjà des problèmes avec les fourmis, j’hésite sérieusement ! Pour l’instant, j’ai juste trouvé une solution pour raccourcir l’agonie de mes pauvres petites copines : je les arrose de terre de diatomée dont les particules extraites du broyage de squelette d’algues marines microscopiques les déshydrate fatalement.

Mais je n’en ai pas toujours pas trouvé pour tarir ma honte.

En attendant, je me demande pourquoi le gouvernement continue à s’acharner contre les gens qui veulent vivre dans les bois sans tout casser et aseptiser autour d’eux, vu le peu de candidats disposés à s’immerger dans la réalité d’une coexistence aprement négociée avec la nature: un écrémage drastique s'opère immanquablement après quelques aventures de ce genre, amputant idéalisme, romantisme et sentimentalisme à toute démarche de retour à la nature.

 

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Commentaires
G
J'aime bien les insectes sauf les poux, les punaises de lit ou d'Asie, les morbachs et surtout les moustiques à cause du palu et de la dingue. La seule façon de s'en protéger c'est du grillage très fin aux fenêtres et des moustiquaires pour dormir en paix. On fait comme ça du coté de l'Amazonie et c'est assez efficace, ça pourrait pas marcher avec ces punaises ?
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C
https://www.midilibre.fr/2021/10/25/la-punaise-diabolique-en-provenance-dasie-pullule-dans-la-region-et-envahit-toute-leurope-9888643.php?M_BT=352163987167#xtor=EPR-2-[newsletter]-20211026-[classique]<br /> <br /> <br /> <br /> Un article sur le Midi Libre sur l'invasion de punaises diaboliques, gros problèmes pour les producteurs.
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M
1 - terre de diatomée en extérieur et dans la maison<br /> <br /> 2 - Répulsif : deux tasses d’eau mélagées deux cuillères à café d’ail en poudre ; Pulvériser le mélange partout. Répéter.<br /> <br /> ou/et<br /> <br /> 500 ml d’eau et 10 gouttes d’huile essentielle de menthe <br /> <br /> Bonne chasse :)
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N
Bonsoir Barbesse Et oui ...peut-être le voyage vers un autre lieu qui t'attends est-il bienvenu$? qui sait? belle Vie à toi
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M
Pourquoi tout simplement ne pas les emmener assez loin pour qu ils ne reviennent pas?
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YURTAO, la voie de la yourte.
YURTAO, la voie de la yourte.

Fabriquer et habiter sa yourte, s'engager et inventer un nouvel art de vivre. Vivre le beau et le simple dans la nature.
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