Mon rêve de baleine blanche
Cette nuit, pour la première fois de ma vie,
je l'ai vu, la reine des eaux,
j'ai vu la baleine blanche.
Une masse de vie magnifique, immaculée,
sans tâche qui retienne le regard,
une face lisse dépourvue de saillies intempestives,
sans aucun organe offensif ou défensif,
une longue mâchoire pacifique dont pas une dent ne sert à tuer,
un monument émergé du fond de la mer,
comme un vestige préhistorique, un trésor oublié.
Elle s'approchait doucement du rivage,
dans la courbe d'une baie tranquille.
Elle se laissait dériver placidement sur le flot,
bercée par le clapotis de l'eau bleue.
Je savais qu'il n'était pas question pour elle de volonté,
je savais que c'était seulement le juste moment,
ce moment sacré né du moyeu qui actionne les saisons,
l'emboitement des choses, des situations et des êtres.
Je savais qu'elle avait laissé les amarres se détacher
pour se livrer à l'attrait d'une réalité nouvelle,
la-bas, sur cette île immense et inconnue.
Cette baleine ne s'échouait pas, elle venait,
la baleine venait vers nous.
Le moment est venu, pour la baleine blanche,
de s'approcher de l'humanité vivant sur la terre.
Elle tanguait imperceptiblement sur la plage,
calée humblement dans la sérénité de sa force,
prête à offrir son mystère aux humains.
Des petits baleineaux noirs jouaient autour d'elle,
je savais qu'elle frayerait leur sécurité et leur apprivoisement
De fait, je l'ai vu plus tard,
comme une montagne de blancheur sur la terre ferme,
insolite messagère d'un continent invisible,
modeste majesté en ambassade d'un autre monde.
Je me suis réveillée et j'ai su que je tenais là,
avec cette magnifique baleine blanche,
mon aurore, mon missel, un cristal de mon désir.
Après, lentement, je me suis souvenue
l'enthousiasme équanime et serein
avec lequel j'avais confié à une amie mon projet de création
du premier « festival national des tentes et des cabanes »,
et tout de suite après,
comment j'avais sarclé la terre toute l'après-midi,
rencontrant racines et vers et terre à pleines mains,
pour dégager un petit bout d'endroit
mon prochain ermitage.
du cinquième rêve!
Quand abreuvé d'infini, l'Esprit eut éprouvé sa transparence,
ayant exploré reflets, arcs en ciels,
et tous les chatoiements de couleurs de l'univers,
il rêva l'extase de son agitation dans la fixité:
son désir exultât alors dans la pierre.
Ce fut la première voie, le premier rêve.
Mais quand le caillou regretta sa lumière originelle,
il se rêva translucide jusqu'à devenir cristal.
Ce fut le deuxième rêve, la deuxième voie.
Puis le cristal, se trouvant trop dur et si cinglant,
rêva de douceur, de tendresse et de fragilité,
et la fleur apparut.
Ce fut le troisième rêve, la troisième voie.
Puis la fleur, à force de jouissance,
eut un orgasme dans l'arbre.
L'arbre désirât si fortement se muer
en quelque chose d'encore plus indispensable que lui,
qu'il rêvât l'extase de ses poumons, la respiration du monde,
et ce fût le ver de terre.
Ce fut le quatrième rêve, la quatrième voie.
Le ver de terre, qui possédait le secret de toutes les bêtes,
se transforma en serpent, en souris, en blaireau,
en tigre et en aigle,
puis rêvât d'espace fluide
où chanter sur les ondes du monde
sans quitter l'invisibilité souterraine:
alors le ver de terre fit émerger son rêve,
la baleine!
Et la baleine chanta, traversant les grandes eaux,
la baleine inventa la vie sociale et la paix,
sans jamais cesser de chercher sa réalisation
en aiguisant ses rêves les plus fous,
et ce fut l'humanité.
C'est
la cinquième voie, le cinquième rêve!
Nous sommes le rêve encore inaccompli de la baleine.
Car si dans chaque mèche de ta chandelle
se tapit toute la lumière du monde,
si dans le charbon le plus noir brille au fond
le diamant que tes épreuves ont taillé,
si dans la graine de coquelicot sommeille
le chêne centenaire où abriter tes passions,
et si, dans tout ver de terre palpite une baleine,
alors je te vois, toi l'humain debout,
avalé, craché et exalté par la baleine,
ne cessant de rêver l'apogée de ta condition,
la liberté.