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YURTAO, la voie de la yourte.
12 février 2009

Le sens de la vie

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Ce n'est pas vrai que le pouvoir d'achat rend heureux.

Ce qui rend heureux, c'est de savoir qu'on a sa place parmi la communauté humaine.

Et souvent, ce qui rend encore plus heureux, c'est d'être utile à quelqu'un.

C'est pour ça qu'en ce moment je suis si contente.

C'est vrai, je vis seule, c'est un choix, et il me va.

Mais il comporte ses aléas, c'est pas toujours facile de vivre sans que quelqu'un de proche ait besoin de vous. On s'y fait, mais faut passer quelques blues, et  savoir se rasséréner soi-même.

Alors, si l'intimité n'est pas au programme, on peut toujours lever le nez vers les autres qui se tiennent autour, dans le voisinage.

Par exemple, on peut faire plaisir par quelques petits actes gentils de la vie quotidienne, en particulier faire des sourires à des gens moches, pauvres et  abandonnés, et leur dire bonjour, en les regardant vraiment, c'est peut-être le seul contact humain qu'ils auront dans la journée.

Ça m'est arrivé quand j'étais jeune Maman et victime de violences conjugales, de compter le nombre de mots qui m'avaient été adressés dans une journée. Pas des mots normaux, des mots tout courts, tant la honte m'avait isolé.

Donc je dis systématiquement bonjour à tous les gens que je croise dans mon village, même ceux qui peuvent pas me saquer.

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Trois messieurs fous de moi que pourtant je ne salue pas.

Bref, je capitalise de minuscules contentements quand des inconnus relèvent la tête tous surpris à mon salut et ébauchent une réponse.

Sauf eux trois, parce que eux, si je leur dis bonjour, c'est comme si je leur ôtais le pain de la bouche, ils risquent de plus pouvoir me détester, or leur vie ne tient qu'à ça, je n'ai pas l'intention d'y attenter.

Donc, depuis qu'il m'est arrivé de compter les mots humains d'une journée sans trop de massacre, je vis seule, et quand je rentre dans ma yourte le soir après une bonne journée de boulot, il y a encore et toujours des périodes où j'ai un petit pincement au cœur de ne pas être attendue.

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Mais pas en ce moment.

En ce moment, je donne du sens, au mieux,  à au moins trois vies humaines, si ce n'est six.

Et ça me met le cœur en joie.

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Normalement, vu la façon dont ça se passe, je devrais me faire du mouron et pester, parce que ces personnes, c'est pas franchement des princes charmants. Quoique, si j'en crois mon enfance, la surprise peut toujours venir des crapauds et des bossus grincheux.


L'une de ces personnes, c'est un homme bien plus âgé que moi, un monsieur revêche qui n'a pas d'amis, qui se trimballe toujours avec son fusil en bandoulière en grognant et vitupérant, un vieux qui supporte rien, qui houspille sans cesse sa femme, une petite bonne femme toute menue qui dit jamais rien et ne sort que pour suspendre son linge et aller voter comme son mari le lui dit, c'est à dire pour celui qui jure d'éliminer tous ceux qui gênent.

Cette personne me déteste. Elle me déteste de toute son âme. Elle pense à moi nuit et jour, et dés qu'elle rencontre quelqu'un qui veut bien l'écouter, elle hurle des imprécations abominables contre moi. Et ça lui fait un bien fou. Elle se sent exister, elle a un sujet de conversation à sa maison.

Certains témoins sont venus me trouver en me prévenant que je risquais de me prendre un coup de fusil tant il sortait de ses gonds quand il parlait de moi, paraît que ses yeux sont tellement exorbités! Mais je n'y crois goute, je pense au contraire qu'un vieux avec un fusil sans cesse derrière mes basques, c'est un garde du corps gratis.

Moi les vieux, j'aime bien, j'ai toujours eu une tendresse particulière pour eux, j'aime les entendre raconter des histoires d'avant, que leurs enfants n'ont pas envie d'écouter. Et ici il y en beaucoup des vieux, et des très pauvres. Pas besoin d'aller à Calcutta faire sa BéA , ici c'est la France profonde, et s'il n'y a plus de lépreux, il y a l'entière panoplie de la déchéance humaine.

Avec celui-ci j'ai essayé gentiment, mais ça s'est assez vite gâté.

Paraît qu'il est pas content parce que mes yourtes se trouvent sur son chemin vers la montagne quand il va chercher la litière de son chat. Les yourtes, c'est en Mongolie, pas ici, j'ai qu'à dégager la-bas.

Ensuite, il supporte pas le petit monde bigarré qui vient y siroter du tchai tout l'été, ces gens hirsutes qui s'ébrouent au coin du feu en gratouillant des guitares et des guimbardes, des gens pas comme lui, qui rigolent et qui ont l'air heureux.

Mais surtout, crime de lèse majesté, je ne suis qu'une femme, et une femme, ça ne fait pas de politique. Une femme, ça reste à la maison à se faire engueuler point.

Un monceau de griefs farfelus s'accrochent ainsi sur ces vecteurs de base, monceau toujours revu à la hausse.

Particulièrement depuis que l'association des yourtes a eu la très mauvaise idée d'acquérir, le long d'hectares en friche délaissé par ce vieux sur la colline au-dessus du camp, un lopin de terre embroussaillé, longeant une falaise abandonnée percée de grottes, où j'ai la ferme intention de réaliser la dernière étape de mon dépouillement spirituel.

La-haut, rêvant de mon prochain ermitage loin des bruits du monde, je défriche, élague,  arrache lianes, ronces et salsepareilles, bêche, scie, retape des murets, mais seulement les jours où il pleut pas et où il gèle pas, c'est à dire cet hiver, avec le foutoir du réchauffement climatique, de plus en plus rare.

Et très éprouvant. Pas pour moi, j'ai assez de buz à l'intérieur.

Mais pour au moins deux d'entre eux. Quand il pleut, je leur manque.

Le vieux, il  peut plus me suivre partout, me guetter derrière un arbre avec ses jumelles, démonter le travail que j'ai fais la veille, jeter des cailloux sur mes plate-bandes, ni me lever un doigt d'honneur bien noueux pour m'inviter à oublier qu'il n'a rien d'autre à faire lever, ni m'insulter si j'ose le regarder dans les yeux quand je le vois m'épier ostensiblement.

En général, au milieu d'un chapelet d'injures en patois, quand j'entends son insulte préférée, « pouffiasse » (qui la première fois je l'avoue, m'a un peu sonné, plus jeune, c'était sorcière ou salope, quand même un peu moins mégère....), je sors mon appareil photo pour le cadrer au moment le plus virulent, ce qui a pour effet de décupler ses rugissements, mais en même temps de lui faire tourner les talons.

Cet homme me mène une vie très intense. Je lui ai concédé cette passion et je me laisse détester avec philosophie, attendant sans trop y croire sa mutation en prince.

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Mais si  celui ci est un homme de terrain, un pas futé à l'affut sur ses godillots, dont les agissements sont faciles à décrypter,
l'autre, un peu plus jeune, se cache derrière ses titres, magouille et complote entre oligarches habitués au détournement de biens publics: c'est un scribouillard de la haute, de ceux qui commandent et entendent faire courber l'échine du bas peuple, lui c'est le grand, le riche, le noble, le fort, l'élu, et lui, il me voue sa passion avec une persévérance tout aussi fanatique, mais dans l'ombre.

Lui aussi ne supporte pas les yourtes, les femmes qui vivent en yourte et les amis des yourtes, surtout depuis que j'habite sous les fenêtres d'une de ses propriétés, et, depuis quatre ans que les yourtes ne décollent pas, il cogite inlassablement pour me prendre au piège.

Et je suis devenue malgré lui son béguin quotidien.

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Pas un jour ne se passe sans qu'il hallucine sur les lois qu'il va faire voter par ses copains du sénat pour virer mes yourtes, pas un jour sans qu'il ourdisse une dénonciation en haut lieu, pas un jour sans qu'il envoie un sbire attenter à mes petites installations, pas un jour sans qu'il harcèle avocats, magistrats, huissiers, maires,  experts en urbanisme, agents territoriaux, députés, ministres, gendarmes, RG et policiers pour m'expulser, pas un jour sans conciliabules malveillants avec complices maffieux et autres crapules spéculatueuses, pas un jour sans qu'il me diffame de façon dithyrambique à son parterre, en voie de rétrécissement quand même pour cause de retraite, me dénonçant à a vindicte populaire comme une squatteuse, une voleuse, une aventurière dévergondée, une dangereuse allumée, et qu'il tente de déclencher dans les foyers endormis une chasse à la sorcière, une hystérie collective pour l'édification d'un bucher purificateur sur lequel, lui, le potentat local orgasmerait en allumant le premier fagot.

Quand au troisième, dans la force de l'age, sa musculature trapue donne un poids consistant à ses désirs de m'atteindre au cœur, en particulier dans sa pratique de lancer de litières de crottes de chat sur le toit de ma yourte, visant l'embouchure de la couronne, pratique extrême entre chiens et loups, au crépuscule et à l'aurore, heures romantiques où le tracé extatique des étoiles filantes cède la place aux jets puants d'un ressassement nocturne détraqué.

Auteur de l'incendie de ma cave, de l'arrachage de ma clôture, de la confiscation de mon bois, du massacre de mes pancartes, de l'empoisonnement de mes plantations, ce brave villageois introverti peuple ses fantasmes de vengeances excrémentielles mais n'a guère le courage de m'approcher que par matières interposées.

S'étant fait abimé par des voisins patibulaires irrités des morsures et cagures de son chien, il s'est rabattu sur moi, espérant, à raison, un traitement plus doux de sa quête éperdue d'attention.

C'est ainsi qu'après sa dernière culbute sur l'asphalte, j'ai du slalomé pendant une semaine entre les selles de son animal, méticuleusement émiettées sur mon parcours quotidien entre domicile et bureau.
Toujours aux aurores, ce prince des caniveaux pousse les déjections canines sur un papier journal bien plié et les dépose toutes fumantes, avec dévotion, sur mon palier.
Heureusement aguerrie à distinguer l'or dans le charbon le plus noir et les bourgeons de roses dans le fumier, j'ai immédiatement deviné la portée prédictive de ces odorants présents: gloire et richesse à court terme! traduisent unanimement les dictionnaires oniriques!

Je ne saurais dire lequel des trois,
du rudimentaire arpenteur de restanques, du cumulateur en croisade législative anti-yourte ou du maitre des fèces est le plus puissant et le plus nuisible, tant leurs niveaux sont différents, mais une chose est certaine, c'est que ces trois là et moi, nous avons une obsession commune,

les yourtes.

Moi, dés que j'escalade une colline et débouche sur la moindre clairière, j'y vois déjà un hameau de yourtes sous un arc en ciel,
eux, dés qu'ils voient une yourte, ils plongent dans un abime de sentiments féroces et fulminants, de jouissances sadiques et coupables, et ça les rend fous.


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Le seul véritable ennui de trainer derrière soi une escorte de mâles manifestant tant d'ardeur à leurs poursuites, c'est la jalousie exponentielle de leurs femmes.

Car, malheureusement, mes poursuivants ne font même plus semblant d'apprécier la soupe domestique, ils désertent, ils sont ailleurs, ils étouffent, il ne pensent qu'à leur chasse aux yourtes, des yourtes, encore des yourtes, des yourtes dans tous les coins de  leur vie.
Découvrant alors, furibondes, qu'une autre lève l'ouragan qu'elles n'essuient plus depuis longtemps, mes pauvres sœurs me prennent pour une rivale et leur entendement s'aveugle:
là où je rends des  services gratuits en salant des vies insipides, elles ne voient que  perverse séduction...

Car sans doute ces hommes hantés par la phobie des yourtes me jalousent -ils de ce sens que je donne à ma vie depuis que j'ai renoncé au confort pour lequel ils ont sacrifié la leur,
peut-être désirent-ils passionnément quelque chose de très vivant qui leur manque, quelque chose de palpitant qu'ils n'ont pas pris le temps de cultiver et qui s'est étiolé,
peut-être se doutent- ils que « la vie n'aura servi à rien à celui qui quitte le monde sans avoir réalisé son propre monde » (Brihadaranyaka Upanishad),
et peut-être qu'en me poursuivant, ils cherchent seulement à apaiser leurs regrets.

C'est pourquoi, si c'était que moi, par cet amour simple et universel qu'une vie rude mais bien vécue permet, je mettrais ces vieux jaloux, gâteux, frustrés et aigris dans un bateau direction le détroit de Magellan pour aller faire un stage de survie en Patagonie.

Là, au milieu des éléments sauvages, dans la souveraine solitude des vomissements d'impitoyables glaciers, il leur faudrait lutter contre vents, neige et tempêtes, entre fjords, rivières tumultueuses, séracs et bras de mer infinis, et j'ose espérer que cette immersion apaiserait leur misogyne campagne anti-yourte au profit d'instincts plus virils et plus sains, dans un milieu austère où les hommes savent qui ils sont, un endroit où sans solidarité on ne survit pas.

Mais attention pas la Patagonie de la spéculation foncière, en train de devenir le parc de loisir d' un gigantesque lotissement pour riches occidentaux en mal de nature, mais cette Patagonie qui reste un des derniers confins où l'homme peut s'évaluer sans tricher face à sa condition,  ces terres vierges dont Neruda écrivait:

« Je prends congé, je rentre chez moi, dans mes rêves, je retourne en Patagonie. »

ciel



 

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Commentaires
D
et plus j'ai envie de te dire tout le respect que tu m'inspires.. <br /> Je ne sais pas tout comme une de tes lectrices jusqu'où irait aujourd'hui mon acceptation face à des agressions comme celles que tu subis.. <br /> Je sais bien que la chasse aux sorcières n'a jamais cessé et que le monde d'aujourd'hui, comme celui d'hier n'accepte pas la différence... C'est pourtant par les différences que l'on s'enrichit ... Je t'avoue être très émue à chacune de mes lectures ici, je me suis permise de te mettre en lien sur mon petit blog...<br /> Débla
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L
Je viens de voir le documentaire sur ton combat pour ta yourte.<br /> J'ai aussitôt envie de venir t'embrasser,alors je viens sur ton blog et je lis ta liberté,celle dont tu as le courage de revendiquer.<br /> La liberté d'être femme, d'être citoyenne, de ne pas accumuler de l'argent, d'aimer la nature, de dire tes joies, de dire tes peines, de dire les injustices, de vouloir être heureuse tout simplement.<br /> Merci de donner la parole à ta liberté, ça me va bien, ça me rassure.Je t'embrasse de tout coeur.
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S
ah comme je suis heureuse aujourd'hui, d'avoir découvert ton espace de vie "virtuelle". Moi je crois qu'il ne faut pas avoir peur de ces gens. Avoir peur serait leur donner de l'importance or il ne peuvent rien. Ils le croit peut-être, mais ils ne peuvent rien. La peur méne les hommes sur ce chemin haineux, vilain. Les hommes n'aiment pas les femmes seules qui ont du courage et du caractére. Pour l'instant je suis derriére cet ordinateur, mais je me prépare à partir avec mes deux filles. J'ai tout quitté, maison, école, tout ce dans quoi j'étais investi parce qu'il faut absoluement que je retrouve le sens de la vie. J'ai le sentiment de l'avoir perdu et cette idée m'est insupportable, je ne veux pas que mes enfants grandissent en pensant que vivre c'est aller droit devant sans se poser de questions, sans prendre le temps de regarder, de rêver, de sentir que la vie est bien plus douce que ce que l'on voudrait nous faire croire. Partir, c'est souvent être seule. Je me prépare sans bruit mais cette semaine c'est sûr, nous décollons ! on a pris rendez-vous avec l'aventure, et là je pense que l'on passera dans les cévennes, les yourtes nous appellent... . Je peux me permettre de te prendre une photo de yourte pour parler de ton blog sur le mien ?
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V
J'aurais eu beaucoup de plaisir à trouver sur mon chemin, quotidien ou de saison, un espace comme celui-là pour prendre le thé et surtout prendre les aspérités de la vie avec autant de spiritualité. Mais d'un autre côté j'envie votre position... pas forcément la solitude quotidienne (enfin pas pour maintenant) mais bien vos "princes"... parce qu'effectivement vous vous êtes créé votre vie! Fabuleux!
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E
J'espère qu'aucun d'eux n'arrivera à faire s'envoler ta yourte... <br /> Tout de même j'admire ta magnanimité. Je ne sais pas si je supporterais. Les ignorer doit les faire enrager encore plus non?<br /> Ce qui serait bien c'est que les vilains petits porcs se convertissent en gentils animaux de compagnie. Après tout ça peut arriver, les contraires peuvent s'attirer...
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YURTAO, la voie de la yourte.
YURTAO, la voie de la yourte.

Fabriquer et habiter sa yourte, s'engager et inventer un nouvel art de vivre. Vivre le beau et le simple dans la nature.
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