Journée des femmes: la grève des ventres.
Une yourte à soi.
Jamais il n'y a eu autant d'économistes, de banquiers, d'experts financiers,
et jamais autant de pauvres, de plus en plus pauvres.
Jamais autant de lois pour protéger la liberté
et jamais autant de psychopathes et de pédophiles au pouvoir.
Jamais notre progéniture n'a été tant comblée,
et jamais autant de kalachnikovs et d'engins de guerre
n'ont été fabriqués à la seconde dans autant d'usines d'armes.
Jamais autant de quantité de blé, de riz, de soja
et jamais autant d'enfants en train de mourir de faim.
Toujours plus d'aliments et de médicaments
et toujours plus de cancéreux et d'alcooliques.
Jamais autant de prostituées, de pornographie,
aussi peu de tabous sexuels
et jamais autant d'humiliations des femmes,
autant de tabasseurs et de violeurs.
Jamais autant d'historiens, de fouilles et de musées,
et jamais aussi peu de mémoire et si peu d'avenir.
Jamais autant d'instruction, de déductions et d'innovations,
d'équations résolues, d'incollables aux chiffres et aux lettres
et toujours aussi peu de sagesse.
Toujours plus d'informations, d'actualités, d'exhaustivité,
d'émissions savantes, de liberté de choix,
et toujours aussi peu d'écoute.
Jamais autant de gens qui voyagent partout, dénoncent des abus,
s'indignent dans les rues,
inventent des produits révolutionnaires, annoncent des changements
et jamais aussi peu de nouveautés dans les systèmes et les régimes,
toujours autant d'engrenages, toujours plus d'aliénation.
Toujours plus de désastres, mais jamais ils ne reconnaissent leurs erreurs.
Alors, au lieu de céder son corps corvéable à la spirale d'une économie délirante,
son corps sexué au voyeurisme
et au ridicule sur les affiches et les écrans,
son corps biologique au démembrement
et à la fragmentation des laboratoires,
son corps physique au martyre des traditions de domination masculine,
son corps reproductif aux trafiquants d'utérus et d'embryons,
son corps affectif aux torchons médiatiques,
son corps de beauté aux scalpels,
hormones et silicone,
son corps identitaire aux faschismes de chapelles,
et son corps de rêve
aux rails formatés des fantasmes de masse,
il serait temps de se refuser et de réaliser
que la femme peut cesser de faire aussi mal que l'homme,
ne plus en rajouter dans l'escalade du pire.
La dérobade des femmes musulmanes se cachant sous un voile tient plus de cette volonté de résistance, et pas, comme tentent de le faire croire les phallocrates occidentaux et leurs suffragettes intellos, d'une soumission aveugle à un ordre patriarcal archaïque.
C'est bien pourquoi les impérialistes, sous couvert de laïcité, sont si virulents contre quelques malheureux bouts de tissu, qui menacent non pas les valeurs de la République, mais bien leur suprématie de coqs de basse-cour.
Nous sommes au bord du gouffre. Il n'y aura pas de sauveur.
Des milliards de tas de ferraille motorisés
qui passent sur le corps de notre mère la Terre
en dégageant des gaz mortels,
les sols épuisés, les semences naturelles confisquées,
les eaux infestées, la faune exterminée,
résonne dans le ventre des femmes comme un viol collectif.
Alors, s'il apparaît que l'homme, qui n'arrive plus à trouver ses limites,
pèche par excès, la première des évidences
est de ne pas accompagner sa pulsion;
la seconde de l'aider à trouver le frein.
Et finalement, s'il ne veut rien savoir
et qu'un moratoire à l'extinction humaine s'avère objectivement urgent,
il reste une solution : la grève des ventres.
La pilule contraceptive renforce la suprématie technologique en étendant la domination scientifique sur le corps des femmes, en disqualifiant, au dépend de la complicité somatique et de l'écoute de soi, la vraie responsabilité personnelle.
Il est plus facile, pour avoir la paix vite fait, d'avaler un poison, qui profite aux actionnaires du désastre, que de dire non à son compagnon, lui expliquer l'abstinence quand on n'a pas envie, qu'on a ses règles, sa période ovulatoire ou son nouveau contrat moral envers soi-même et la terre.
Plus facile de toujours en rajouter, même quand il faut se reposer.
Pilules pour se réveiller, pilules pour s'exciter, pilules pour se calmer, pilules contre l'angoisse, pilules pour maigrir, pilules pour dormir, jamais s'arrêter d'avaler, alors que tout, en soi, a depuis longtemps commencé à vomir.
Il est plus facile de laisser les mâles continuer à nous sauter dessus comme des sauterelles sur un champ de maïs que d'exiger une chambre, une yourte à soi, pour écouter son corps, ses rythmes, ses accords lunaires, son ovulation, ses désirs profonds, ses rêves, apprendre à se respecter, se faire respecter.
Nous, les femmes, qui avons abandonné notre fertilité, la reproduction et la survie de l'espèce à la cupidité des despotes misogynes, aux labos capitalistes et aux industries productivistes, en payons de plus en plus le prix dans nos corps.
Mais quand nous relevons la tête de nos symptômes dégénératifs, ce que nous voyons, ce n'est pas seulement la pandémie qui nous castre de nos seins, nos utérus et nos ovaires, c'est l'immense et irrémédiable pollution de notre environnement,
que nos enfants payeront pour des siècles et des siècles.
Je ne crois pas que les femmes qui n'ont pas faim puissent s'offrir plus longtemps
le luxe d'éviter de prendre position.
Il est temps de refuser de coopérer à l'avilissement et la destruction programmés,
temps d'apprendre à aimer autrement qu'en rampant.
Nous avons toutes, au fond de nous, une lueur de vérité,
un éclair de lucidité, qui n'attendent qu'une pause, une fatigue,
un essoufflement, une saturation, parfois une maladie, pour se manifester.
Cet appel intérieur, ce plus profond en soi
qui patiente avec une insistance discrète, risque de disparaître
si nous cédons trop souvent aux injonctions extérieures,
engloutissant toute résurgence de bon sens.
Cette pause, cet espace à soi réapproprié entre deux agitations,
ce souffle puissant qui gît par delà les compromissions d'un monde emballé
c'est ce que craignent le plus les exploiteurs.
Quand on cesse d'ajouter à l'escalade,
le courage de résistance est stigmatisé comme une faute si ce n'est un crime
et déclenche la chasse au déserteur. Au moindre répit,
ils nous matraquent d'accusations pour que,
lors de ces silences si rares qu'on prend le temps de puiser en soi,
l'impression d'être des voleuses et d'échapper à ses devoirs
nous gâche l'envie de recommencer.
Là est la plus grande mystification.
Car, une chambre à soi,
une cabane à soi,
une yourte à soi,
est bien, pour les femmes,
en deçà de toute indignation, revendication, organisation,
une étape incontournable sur la Voie qui libère.