forêt en souffrance
Les toutes premières perches que j'ai prelevé furent des petits troncs de pin,
poussés sur le terrain d'un ami en train de défricher.
Fort heureusement, car son bois tendre m'a acclimaté en douceur
à une résistance à laquelle mes ciseaux de couturière n'étaient pas préparés.
Le pin ici pousse si facilement,
acidifiant le sol au détriment d'autres plantes et cultures,
que lui aussi récolte le mépris des gens.
Lorsque ceux ci veulent construire,
ils achètent des pins convoyés de très loin,
du Douglas par exemple, réputé pour sa bonne conservation dans le temps.
Léger, rectiligne, odorant, facile à travailler, à percer,
il s'offre à tous les traveaux, mais demande à être protégé,
dans son endroit de pousse et à la sortie de l'atelier,
pour prouver ses capacités de permanence.
Quelle désolation de le voir envahi de nids de chenilles processionnaires qui,
profitant de son immunité déficiente,
dévorent le reste de sa vitalité!
Les tempétes de ces dernières années ont blessé gravement les foréts de pins,
pour le plus grand profit des marchands de bois,
mais aussi, plus insidieusement, pour celui des promoteurs immobiliers
qui n'hésitent pas à craquer une petite allumette pour achever la déforestation
et y installer des lotissements.
Le tout à l'insu de la population locale
et avec la complicité tacite d'élus dévorés par l'ambition.
Si seulement le chataigner avait la force
de compenser les faiblesses de son voisin de palier,
la forêt dépérirait moins vite sous mes yeux consternés.
Mais il est lui aussi malade, depuis déjà longtemps:
cet abre si généreux, qui nourrit tant d'humains et d'animaux,
est abandonné à son triste sort, à défaut d'une politique sérieuse de soin et de réhabilitation.
Résistant, imputrescible, lui aussi d'un joli blanc fibreux aprés l'épluchage,
il m'a donné des perches de choix
qui feront durer la yourte bien audelà de mes générations.
C'est en étant consciente du carnage et du mépris dont patit la forét,
du moins dans ce Sud ou je me suis fixée,
que je me suis approchée d'elle,
dans ce rapport particulier qu'instaure tout prélévement
sur une production naturelle qui appartient à l'humanité,
rapport distinct de celui d'une promeneuse.
J'ai commencé par jauger la misère de ma forêt,
cherchant comment je pouvais m'inscrire dans un rapport différent et respectueux,
puis par me demander avec qui j'allais cohabiter
et si j'étais de taille à les supporter:
en plus des promoteurs, les chasseurs, les champignoneurs,
Les bucherons, les élagueurs,
les VTTistes, les affreux quads, les 4.4....
A noter que les chasseurs ont pourtant le mérite de défendre
des espaces sauvages en vue de préserver leurs terrains de chasse.
Je ne défendrais jamais le droit de tuer,
et encore moins celui d'aujoud'hui, de plus en plus lache,
mais j'essaye toujours de trouver des arguments compensatoires
pour ceux qui attisent ma propre colère.
Je n'en ai pas trouvé pour les promoteurs...
A coté de tous ces prédateurs, mes rencontres avec les sangliers,
les chevreuils, les blaireaux, les serpents, les faisans, les renards, les lapins, les faucons,
constituent la dernière frontière visible entre un monde barbare et le monde naturel,
frontière que les Indiens on défendu au prix de leurs vies.
« Nous n'aimons pas faire mal aux arbres.
A chaque fois que cela est possible,
nous faisons toujours une offrande de tabac aux arbres avant de les couper.
Nous ne gaspillons jamais le bois
et nous utilisons tout ce nous avons coupé.
Si nous ne pensons pas à ce que les arbres ressentent,
les autres arbres de la forét pleureront
et cette tristesse gagnera nos coeurs. »
Indien anonyme.
Maintenant que les peuples vivant en harmonie avec la nature
ont été massacrés,
l'espéce humaine est devenue le cancer de la terre.
C'est pourquoi vient le retour du refoulé,
cette pauvreté irrépressible qui sera stigmatisée
aussi longtemps qu'on lui refusera sa signification profonde:
un hurlement abyssal issu des tripes de cet humain véritable
qui sait qu'il n'a pas besoin de tout casser pour exister,
désire se contenter de peu en respectant
son prochain et son environnement,
et exige, à son corps défendant,
que la vérité des simples ne meure pas.